Des profs qui se font intimider en classe. Des éducatrices et éducateurs en service de garde qui se font pousser ou frapper. Des infirmières et infirmiers victimes de coups, de propos haineux ou de remarques inappropriées. Les secteurs de l’éducation et de la santé figurent aux deux premiers rangs dans les statistiques de la CNESST1 sur la violence subie en milieu de travail. En 2017, des 2 408 réclamations acceptées à ce titre, 22,5 % provenaient du personnel enseignant et 37 % de celui de la santé.

« L’une des grandes priorités de la Centrale, c’est de s’attaquer aux causes qui menacent la santé des travailleuses et travailleurs des services publics. Et la violence au travail, peu importe la forme qu’elle prend, fait partie de ces enjeux », affirme Sonia Ethier2.

La pointe de l’iceberg

Ces chiffres sous-estiment cependant la réalité puisqu’ils ne tiennent compte que des réclamations acceptées et ayant entrainé des débours pour la CNESST. Seulement 40 % des cas de violence au travail font généralement l’objet d’une réclamation. Plusieurs évènements ne sont même jamais rapportés à l’employeur.

La situation réelle a récemment été mise en lumière par des sondages effectués en 2017-2018 auprès de membres de la FSE-CSQ3 et de la FPSS-CSQ4. Dans le premier cas, l’enquête a été réalisée auprès des enseignantes et enseignants en adaptation scolaire. Ses données révèlent que 68 % des personnes répondantes ont été victimes d’une agression au cours des 24 mois précédant le sondage. Parmi ces agressions :

84 %
étaient verbales
52 %
étaient physiques
24 %
concernaient la violence
psychologique

« Il est plus que temps que l’on intervienne dans les classes pour faire cesser ce genre de situations, dit Josée Scalabrini5. La violence est très présente à l’école, et tous les gestes de violence sont inacceptables. Il ne faut surtout pas hésiter à les déclarer pour qu’ils ne passent pas sous silence.

Éric Pronovost, Josée Scalabrini, Sonia Ethier

Le portrait du personnel de soutien scolaire n’est pas plus reluisant. Parmi les 2 000 membres qui ont répondu au sondage, 71 % ont subi de la violence au cours de la dernière année. La proportion est beaucoup plus importante chez le personnel qui offre des services directs aux élèves (82 %), mais demeure tout de même élevée du côté du personnel administratif (41 %) et du personnel manuel (33 %).

Lucie Piché

« En plus de ne pas être considérés et traités à leur juste valeur, les membres du personnel de soutien scolaire subissent de la violence physique et verbale qui les affecte durement », ajoute Éric Pronovost6.

Au collégial, « l’anxiété et les autres problèmes de santé mentale que vit un nombre croissant d’étudiantes et d’étudiants créent un climat propice à la violence envers le personnel des cégeps en raison du manque de ressources, précise Lucie Piché7. Le phénomène des violences à caractère sexuel en enseignement supérieur doit aussi être mieux documenté afin que des stratégies adaptées aux réalités du milieu scolaire soient développées ».

51 %
DES ENSEIGNANTES ET ENSEIGNANTS
EN ADAPTATION SCOLAIRE VICTIMES DE VIOLENCE

ont déclaré que les directions, une fois informées,
ont banalisé la situation, ne savaient pas quoi faire
ou n’ont pas agi8.

En santé, ce sont les effets du manque de personnel qui génèrent le plus d’incidents violents. Selon Claire Montour9, « le personnel soignant est pris entre des patients de plus en plus instables et une administration qui augmente sans cesse la charge de travail et les processus de contrôle, tout en coupant dans les différentes ressources disponibles. Le tout combiné à un manque criant de temps et d’outils de travail ».

Victime ou témoin, mêmes effets

Les conséquences de la violence en milieu de travail sont multiples. Au-delà des marques physiques qu’elle peut laisser, une agression peut avoir des effets psychologiques : cauchemars, troubles du sommeil, hypervigilance, évitement, etc. Ces effets se manifestent également chez les témoins.

Claire Montour

La violence vécue explique une partie significative de l’abandon de l’emploi chez le personnel enseignant en début de carrière. En éducation et en santé, 50 % des absences du travail de courte ou de longue durée sont dues à des motifs psychologiques. En contexte de pénurie, cela ne fait qu’augmenter la charge de travail de celles et ceux qui restent.

La banalisation comme stratégie défensive

Nombre de personnes considèrent la violence comme normale dans les emplois de services. Les employeurs encouragent une certaine omerta au nom de la réputation de leur établissement. Pour les personnes confrontées à la violence, se taire est aussi une façon de s’en détacher. Pire, des travailleuses et travailleurs évitent de dénoncer certaines situations par peur de passer pour incompétents auprès de l’employeur ou des collègues.

Cette banalisation et le sentiment que rien ne sera fait alimentent la sous-déclaration, laquelle entraine à son tour la réticence à mettre en œuvre des mesures de prévention faute de données pertinentes. Ainsi s’installe le cercle vicieux du laisser-aller.« Pour des gens dont la vocation est de prendre soin de personnes vulnérables, la dénonciation peut être difficile, mais elle est nécessaire. La tolérance entraine la normalisation du problème. Et plus on se tait, moins on aide le réseau à identifier et à traiter les véritables causes de la violence », précise Claire Montour.

L’importance d’en parler

Le fait de parler de ce que l’on vit permet évidemment d’extérioriser ses émotions et aide à analyser les évènements. Cela permet aussi de se rendre compte que l’on n’est probablement pas seul à vivre cette situation. Il est démontré que le soutien des collègues et l’entraide constituent des facteurs de protection importants face aux risques psychosociaux au travail.

De la même façon, « déclarer un acte de violence à l’employeur permet d’être formellement reconnu comme victime ou comme témoin, en plus de l’aider à comprendre ce qui a pu se passer. L’employeur peut ensuite orienter la personne vers le programme d’aide ou la soutenir dans sa réclamation auprès de la CNESST », explique Luc Bouchard10.

Son collègue Matthew Gapmann10 ajoute que « l’employeur peut ainsi avoir un portrait réaliste de la situation dans une optique de prévention. S’il existe un comité de santé et de sécurité, c’est le forum idéal pour aborder le sujet ».

Le syndicat peut aider le personnel et le soutenir dans ses démarches auprès de l’employeur. Lorsque plusieurs travailleuses et travailleurs vivent le même problème, il peut aussi les mettre en relation et les aider à trouver ensemble une stratégie pour y remédier.

Des obligations légales

Savez-vous que la Loi sur la santé et la sécurité du travail oblige tout employeur à prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique de ses travailleuses et travailleurs11? Cela passe notamment par l’analyse des risques dans le but de les éliminer ou, à défaut, de les contrôler. Depuis le 1er janvier 2019, tout employeur doit posséder et rendre disponible une politique de prévention et de traitement des plaintes en matière de harcèlement psychologique ou sexuel.

En éducation, la Loi visant à prévenir et à combattre l’intimidation et la violence à l’école oblige les établissements à détenir un plan de lutte pour prévenir et contrer toute forme d’intimidation et de violence à l’endroit d’une ou d’un élève ou de tout membre du personnel de l’école.

Dans le cas des cégeps et des universités, la Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur veut renforcer les actions pour prévenir et combattre cette problématique.

Campagne : Tout cela n'est pas dans ta tête


1 Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail
2 Sonia Ethier est présidente de la CSQ.
3 Fédération des syndicats de l’enseignement.
4 Fédération du personnel de soutien scolaire.
5 Josée Scalabrini est présidente de la FSE-CSQ.
6 Éric Pronovost est président de la FPSS-CSQ.
7 Lucie Piché est présidente de la Fédération des enseignantes et enseignants de cégep (FEC-CSQ).
8 Sondage de la FSE réalisé en 2017-2018 auprès des enseignantes et enseignants en adaptation scolaire.
9 Claire Montour est présidente de la Fédération de la Santé du Québec (FSQ-CSQ).
10 Luc Bouchard et Matthew Gapmann sont conseillers en santé et sécurité du travail à la CSQ.
11 QUÉBEC (2018). Loi sur la santé et la sécurité du travail, chapitre S-2.1, à jour au 1er aout 2018, [En ligne], Québec, Éditeur officiel du Québec, art. 51. [legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showdoc/cs/S-2.1].