Le monde du travail a bien changé en 30 ans. Avant les années 80, on entendait peu parler de cibles de performance, de reddition de compte et de facteurs de risques psychosociaux. Aujourd’hui, ce sont de nouvelles réalités qu’un nombre de plus en plus élevé de travailleuses et travailleurs vivent au quotidien.

Aliénation au travail

Retournons dans les années 1940 à 1980. À cette époque, le modèle dominant du travail, appelé taylorisme, se résume à un travail en usine morcelé, répétitif et ennuyant, où les travailleuses et travailleurs n’ont pas l’occasion de faire valoir leur initiative ou leur créativité. L’ensemble des directives viennent d’en haut, et les employeurs exercent un fort contrôle sur le personnel. Le travail, qui s’effectue bien souvent sur une chaine de montage, est synonyme d’aliénation.

Toutefois, grâce à la syndicalisation, les conditions de travail s’améliorent, notamment sur le plan des salaires, des avantages sociaux, des congés et des vacances. Le nombre d’heures de travail hebdomadaire diminue de plus en plus, passant de 84 heures par semaine au début du XXe siècle à environ 35 heures au début des années 80.

Les travailleuses et travailleurs de l’époque sont quasi assurés d’être à l’emploi de la même entreprise toute leur vie. Ainsi, en échange d’un travail aliénant qui ne leur permet pas de s’épanouir, ils acceptent les bonnes conditions de travail et la stabilité d’emploi.

Un tournant majeur

Le début des années 80 marque l’arrivée d’un grand changement : la mondialisation. L’ouverture des marchés commerciaux modifie en profondeur le monde du travail.

Les conditions de travail dans les pays émergents, qu’on pourrait qualifier de médiocres, entrent en concurrence avec celles des pays industrialisés, comme le Canada. Pour modifier leurs couts de production, les entreprises trouvent différents moyens : délocaliser des milieux de travail vers d’autres pays, précariser des emplois, sous-traiter et demander des concessions importantes dans les conditions de travail.

L’organisation du travail subit aussi de grandes transformations. Afin de pouvoir mieux réagir dans un contexte économique changeant, les employeurs cherchent de nouvelles qualifications chez les travailleuses et travailleurs. La capacité à exercer différentes fonctions dans une même organisation, l’aptitude à trouver des solutions à divers problèmes et la mobilité sont des qualités très recherchées. Les organisations demandent à leur personnel de s’adapter à toutes les situations et les responsabilisent davantage à l’égard de la qualité des produits et des services offerts.

Si elles permettent davantage d’autonomie et de créativité, les nouvelles formes d’organisation du travail ouvrent aussi la porte à différents problèmes comme la surcharge et l’intensification de la cadence de travail. Les tâches deviennent aussi nettement plus complexes.

Et dans le secteur public?

Dans ce contexte, on exige que l’État joue son rôle et performe. En ce sens, les ressources allouées pour servir la population diminuent constamment, afin de réduire les couts. Les employeurs sous-traitent des emplois, abolissent des postes et perdent par le fait même une certaine expertise.

En éducation et en santé, les organisations implantent des approches de gestion issues du secteur privé en fixant des cibles de performance. Les commissions scolaires, par exemple, ont comme objectif de chiffrer la hausse de la diplomation. Les hôpitaux doivent quant à eux établir des couts moyens pour chaque intervention. L’État finance ensuite les établissements en fonction de ces couts, sans aucune considération pour les caractéristiques propres à chaque patient, qui font varier les temps d’intervention.

Dans le secteur de la petite enfance, la tarification est maintenant modulée selon les revenus des parents, ce qui favorise les garderies privées au détriment du réseau public.

Au final, ces approches de gestion mettent l’accent sur la réduction des couts et non pas sur la qualité des services. Même le vocabulaire utilisé change. Les bénéficiaires des services publics ne sont plus des « usagers », mais des « clients ».

L’obligation de rendre des comptes

Ces approches vont à l’encontre de ce pour quoi les services publics ont été mis en place dans les années 60 : la justice sociale, l’équité et la sauvegarde du bien commun.

Pour être certains que les cibles de performance sont atteintes, nos gouvernements prennent soin d’obliger les gestionnaires à rendre des comptes, ce qui a deux conséquences :

  1. Le personnel qui rend des services doit accomplir des tâches administratives afin que les gestionnaires puissent justifier qu’ils ont atteint leurs cibles de performance.
  2. Les gestionnaires contrôlent davantage le travail de terrain. Ils obligent leur personnel à changer ses méthodes afin qu’ils atteignent des résultats. Conséquence : le personnel perd de l’autonomie dans son travail, et ses compétences ne sont plus reconnues.

À qui la faute?

Ces modes de gestion, combinés à une baisse constante de ressources, ont des conséquences importantes sur les conditions d’exercice. Par exemple, la hausse de la surcharge de travail en raison de l’intensité et de la complexité des tâches provoque du stress, de l’épuisement, et des symptômes de dépression et d’anxiété.

En perdant de l’autonomie dans leur travail et en voyant leur charge de travail augmenter, les travailleuses et travailleurs arrivent difficilement à offrir une qualité de service à la hauteur de ce qu’ils estiment nécessaire pour en retirer de la satisfaction sur le plan professionnel. Pire encore, ils se questionnent sur leurs compétences : « Est-ce ma faute si je ne réussis pas à performer dans mon milieu de travail? »

Selon les gestionnaires, il s’agit d’un problème d’adaptation individuelle. Ils sont convaincus que, s’il le voulait vraiment, leur personnel serait à la hauteur et offrirait un service de qualité au meilleur cout possible. Quelle lubie!

Pour se prémunir, les travailleuses et travailleurs du secteur public rencontrent des thérapeutes ou encore se font prescrire des anxiolytiques et des antidépresseurs. D’autres prennent des congés. Plusieurs abandonnent carrément leur profession, croyant que leur milieu de travail ne leur offrira jamais des conditions acceptables qui respectent leurs valeurs.

Les études montrent toutefois clairement qu’il s’agit d’un problème d’organisation du travail et non pas de performance individuelle. Les méthodes de gestion issues du secteur privé ne prennent aucunement en compte les particularités du secteur public. Un établissement d’enseignement, de santé ou de service de garde ne peut pas être géré comme une chaine de montage. De plus, il n’y a pas assez de personnel pour effectuer tout le travail à faire.

Notre pouvoir, l’action!

Les difficultés vécues dans les milieux de travail ont conduit les membres de la CSQ présents au Congrès, en juin 2018, à voter des orientations sous le thème de l’action collective. Car c’est par ce moyen, et non par des gestes individuels, que nous parviendrons à des résultats concrets qui nous permettront :

  • De comprendre ce que nous vivons dans nos milieux de travail et d’être enfin capables de mettre le doigt sur ce qui ne va pas;
  • De formuler les valeurs qui sont à la base du travail que nous accomplissons auprès des gens à qui nous rendons des services;
  • De se doter d’un projet collectif par lequel nous ferons valoir ces valeurs que nous ferons connaitre à la population, de même qu’aux parents, aux groupes de défense, aux usagères et usagers, etc.;
  • De mettre en place les actions pour changer nos milieux de travail;
  • De faire en sorte que les services publics redeviennent des services pour des citoyennes et citoyens et non des services marchands dans une vision strictement financière.

Bref, comme le dit notre récente campagne : « Tout cela n’est pas dans ta tête! Le problème, c’est l’organisation du travail et ça peut te rendre malade. Ensemble, nous avons le pouvoir d’agir. »