L’école est hétéronormative. C’est le constat que dresse la chercheure qui a signé l’essai Hétéro, l’école? Plaidoyer pour une éducation antioppressive à la sexualité, publié en 2019. « En fait, l’école fait passer deux messages principaux, c’est-à-dire qu’on s’attend à ce que les jeunes soient hétérosexuels et qu’il existe deux sexes qui sont plus différents que similaires », note-t-elle. Cela nuit tant aux élèves LGBTQ+, qui voient leur réalité niée, qu’aux autres élèves, qui se font imposer la bonne façon d’être une fille ou un garçon.

« Une façon très concrète de faire passer ce message, c’est au moment d’enseigner la puberté, donne-t-elle en exemple. On va généralement montrer le corps d’une femme et d’un homme, en mettant les menstruations d’un côté et la pilosité accrue de l’autre. On va présenter cela comme deux réalités vraiment différentes alors que, dans d’autres pays, on va présenter les mêmes contenus différemment. Ce qui montre que ce n’est pas neutre. »

D’ailleurs, certains pays, dont la Suède, ont adopté une tout autre approche, en mettant en relief les similitudes entre les garçons et les filles, comme l’augmentation de la pilosité et du désir sexuel à la puberté, poursuit-elle. « Ça peut avoir l’air banal, mais de diverses façons, on enseigne que filles et garçons sont plus différents que similaires. À la longue, les jeunes enregistrent ce message. » Même chose quant aux codes vestimentaires ou encore à la séparation des vestiaires et des toilettes sur la base du genre. Ce faisant, on présume que les enfants sont hétérosexuels et qu’il faut protéger les filles des pulsions des garçons avec un mur.

Gabrielle Richard 

De la même manière, l’hétérosexualité des élèves est constamment tenue pour acquise, ne serait-ce que dans les histoires racontées aux enfants ou dans les activités organisées, comme le bal des finissants ou la Saint-Valentin. Ces évènements mettent le couple hétérosexuel en valeur, souvent sans faire place à la diversité, note la chercheure associée à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et à l’Université Paris-Est Créteil. « Personne ne présente cela comme une occasion de discuter d’orientation sexuelle, ce qui est pourtant le cas. »

Modeler les interactions

Cette différence s’incarne jusque dans la cour d’école, où les garçons monopolisent le centre de l’espace et les filles restent en marge, ou dans les échanges entre les jeunes, note la chercheure dans son ouvrage. « Bien souvent, la pyramide de la popularité adolescente se mesure aux normes de conformité au genre. Cela signifie que les filles les plus populaires sont, entre guillemets, de vraies filles, détaille-t-elle. Et, plus tu t’éloignes de ces comportements, moins tu es populaire. »

« En ayant l’impression qu’il y a une nature masculine et une nature féminine complètement différentes l’une de l’autre, cela joue sur la façon de traiter les élèves. »

Les interactions en classe ne font pas exception à la règle. « En ayant l’impression qu’il y a une nature masculine et une nature féminine complètement différentes l’une de l’autre, cela joue sur la façon de traiter les élèves. Par exemple, les enseignants vont avoir tendance à moins punir les garçons que les filles dans le cas d’un comportement dissipé, parce qu’on s’attend à ce que des garçons se comportent ainsi, puisque ce sont des garçons. » D’ailleurs, plus de 80 % des enseignants estiment que les enfants apprennent différemment en fonction de leur genre, selon une étude du Conseil du statut de la femme de 2016. « Cela montre qu’on entretient, souvent sans le vouloir, des attentes différentes en fonction du genre des enfants. »

Une réalité invisible

Lors de sa maitrise, Gabrielle Richard a épluché plus de 17 000 pages de contenus éducatifs proposés par le ministère de l’Éducation. « Je cherchais des passages où étaient évoqués des thèmes comme l’identité de genre ou l’homosexualité. » Sur la quarantaine de références dénichées, la plupart avaient un lien avec l’Holocauste, puisque les homosexuels étaient ciblés par le régime nazi. « Cela montre qu’on aborde rarement ces questions et que, quand on le fait, c’est dans un contexte de victimisation, note-t-elle. On souligne à quel point c’est difficile d’être gai et on présente cela comme un parcours semé d’embuches. »

Même les cours d’éducation à la sexualité taisent souvent ces réalités. Ce qui signifie que plusieurs élèves terminent leur scolarité en ayant peu, voire pas du tout abordé des sujets comme l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. « En fait, ce silence est parlant, affirme la sociologue. Cela envoie comme message aux jeunes LGBTQ+ ou en questionnement que ce n’est pas correct d’être comme ils le sont. »

Ces élèves non seulement se sentent oubliés, mais ont l’impression de ne pas être importants aux yeux de l’école, poursuit-elle. « C’est aussi problématique pour ceux qui se questionnent sur le plan du genre. Comme on ne parle jamais de ces questions, ils ne se sentent vraiment pas normaux. Et ils ne savent même pas quels mots googler pour trouver de l’information! »

Bref, ces sujets sont bien souvent encore tabous, constate Gabrielle Richard. « Plusieurs profs n’osent pas en parler, car ils craignent les réactions des élèves et des parents, et je ne les blâme pas. » Souvent, le personnel enseignant est mal outillé et manque de connaissances pour le faire, observe-t-elle. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut balayer ces questions sous le tapis pour autant. « Ce dont tout le monde aurait besoin, et pas seulement les élèves LGBTQ+, c’est d’une éducation qui ouvre les horizons, qui est émancipatrice, qui n’enferme pas les gens dans de petites cases dès l’enfance. »

« Depuis quand sais-tu que tu es hétérosexuel? As-tu révélé tes tendances hétérosexuelles à tes proches? Comment ont-ils réagi? Le simple fait que cela ne se demande pas habituellement, montre à quel point ce n’est jamais remis en question. »

Remettre en question les codes

Pour améliorer la situation, les écoles devraient revoir leurs façons de faire, estime la chercheure. « Actuellement, la majorité des écoles a adopté une approche pédagogique inclusive, rappelle Gabrielle Richard. Cela signifie que les enseignantes et enseignants sont invités à ajouter du contenu montrant la diversité dans leurs cours, en mettant à l’horaire la lecture d’un livre écrit par une personne homosexuelle ou racisée, par exemple. » Une approche louable, mais qui n’est pas suffisante pour changer les mentalités à long terme, en plus d’être difficile à maintenir.

La sociologue prône plutôt une « éducation antioppressive », où profs et élèves identifient et mettent en doute les normes sociales véhiculées à travers le programme éducatif. Pour cela, elle suggère plusieurs exercices pratiques dans son livre, comme le questionnaire hétérosexuel. « Depuis quand sais-tu que tu es hétérosexuel? As-tu révélé tes tendances hétérosexuelles à tes proches? Comment ont-ils réagi? Le simple fait que cela ne se demande pas habituellement, montre à quel point ce n’est jamais remis en question. » Pour les plus petits, il est possible de souligner le manque de diversité ou les stéréotypes dans une histoire, par exemple. « En fait, cette approche permet de susciter la réflexion et de développer ce réflexe critique chez les élèves », souligne-t-elle.

« On a souvent l’impression qu’aborder en classe l’homosexualité ne servira qu’à un élève par classe, mais c’est faux. Tous les élèves se questionnent sur des sujets comme l’identité. »

La sociologue lance aussi plusieurs autres idées, comme le fait d’adopter un langage inclusif ou même de se présenter, en début d’année, avec son pronom en signe d’ouverture. « Mais, comme il s’agit de biais et de normes souvent inconscients, ce n’est pas facile à déconstruire », pense-t-elle. Pour cela, elle estime que la formation des enseignants devrait inclure des cours sur la pédagogie antioppressive, qui touche toutes les formes d’exclusion, ainsi qu’une réflexion pour identifier ses propres préjugés.

Bref, l’école doit mettre en place un climat d’inclusion, permettant à l’ensemble des élèves de s’épanouir. « On a souvent l’impression qu’aborder en classe l’homosexualité ne servira qu’à un élève par classe, mais c’est faux. Il ne faut pas se voiler le visage : tous les élèves se questionnent sur des sujets comme l’identité, sur la façon de savoir si on est attiré par l’autre ou si c’est simplement de l’amitié, sur le fait de porter certains vêtements ou non. » L’école doit donc ouvrir le champ des possibles des élèves. « C’est essentiel pour former des citoyens qui seront aptes à jouer leur rôle dans une société démocratique et plurielle », conclut-elle.