En 2021, les économistes prévoyaient que l’inflation reviendrait rapidement à son niveau des dernières années, soit autour de 2 %. L’invasion de l’Ukraine et la persistance insoupçonnée des difficultés d’approvisionnement au sein d’une économie mondialisée ont toutefois changé la donne.
Au Québec, les prévisions les plus récentes placent l’inflation annuelle pour l’année 2022 autour de 6,6 %. Il faut reculer à 1991, peu après la fin de la guerre du Golfe, pour retrouver un niveau d’inflation aussi élevé.
Les facteurs en cause
Cette résurgence de l’inflation se manifeste également un peu partout sur la planète. Six principaux facteurs expliquent l’accélération de l’inflation depuis la reprise économique postpandémie.
- La consommation refoulée
Les longs mois de confinement et de lutte contre la pandémie ont refoulé, dans une certaine mesure, la consommation des ménages par rapport à son rythme habituel. En 2020, on a constaté un peu partout une hausse des taux d’épargne des ménages et un affaiblissement des prix. Lors de la « réouverture » de l’économie en 2021, il y avait donc un rattrapage à faire du côté des prix.
- Les perturbations des chaines d’approvisionnement
Dans une économie mondialisée, les chaines d’approvisionnement pour les diverses composantes des produits manufacturés sont éclatées, et la pandémie les a mises à dure épreuve. La politique du zéro COVID de la Chine a mené à de nombreuses fermetures, qui ont sérieusement affecté les grands fabricants. Cela s’est reflété sur les prix des biens.
- La rareté de la main-d’œuvre
La rareté de la main-d’œuvre, notamment au Québec, semble également avoir un effet sur la hausse des prix, quoique bien modeste. Les plus récentes données sur les salaires indiquent que ceux-ci ont eu un effet très limité sur la hausse de l’inflation.
Le manque de main-d’œuvre aurait, cependant, contribué à une pression sur les prix en provoquant des problèmes d’approvisionnement ou une limitation de l’offre dans plusieurs secteurs. Encore aujourd’hui, le nombre de postes vacants est à un niveau record : 5,9 % des postes n’étaient pas pourvus en juillet 2022.
L’augmentation du salaire moyen de 8,1 % en juillet dernier, rapportée abondamment dans les médias et donnant l’impression que la hausse des salaires alimente l’inflation, ne correspond pas réellement aux hausses dont les individus ont bénéficié. Si la moyenne des salaires augmente, c’est en partie parce qu’il y a une moins grande proportion d’emplois à bas salaire dans l’économie. Ce changement dans la composition du marché du travail explique au moins trois points de pourcentage de la hausse actuelle du salaire moyen.
- Le conflit armé en Ukraine
L’invasion de l’Ukraine par la Russie au début de 2022 a provoqué une explosion des prix de plusieurs matières premières, dont ceux du pétrole brut et, par ricochet, de l’essence. Le pétrole étant un intrant important dans la production mondiale, cette hausse a eu un effet inflationniste sur de larges pans de l’économie, allant des produits manufacturés à l’agriculture, en passant par les transports. Les prix de plusieurs produits agricoles ont aussi augmenté, étant donné que la Russie et l’Ukraine en sont de grands exportateurs.
- La hausse des marges bénéficiaires des entreprises
L’augmentation des profits des entreprises est étrangement passée sous silence pour expliquer la résurgence de l’inflation en 2021 et en 2022. Or au Canada, les données montrent que les marges bénéficiaires des entreprises ont récemment atteint des niveaux records. Les organisations auraient profité du mouvement haussier pour augmenter les prix bien au-delà de ce qui était nécessaire pour couvrir la hausse des couts de production.
- Les changements climatiques
Il semble finalement de plus en plus évident que les perturbations climatiques (sècheresses, inondations, etc.) ont un effet inflationniste sur le prix des denrées alimentaires, l’une des composantes du panier de consommation qui a été la plus touchée au cours des derniers mois. Considérant la relative inaction des États sur ce front, il y a tout lieu de penser que les changements climatiques deviendront un facteur inflationniste de plus en plus puissant au cours des prochaines années.
La réaction des banques centrales
La Banque du Canada, qui a le mandat de maintenir l’inflation autour de 2 %, est intervenue de façon musclée en haussant son taux d’intérêt à 6 reprises depuis le début de 2022, le faisant passer de 0,25 % à 3,75 %.
Cette hausse des taux d’intérêt vise à ralentir la demande de biens et de services, ce qui aurait éventuellement un effet à la baisse sur les prix. Plusieurs s’interrogent sur l’efficacité de la stratégie des banques centrales d’augmenter les taux d’intérêt. Ces hausses ont effectivement bien peu de répercussions sur les chaines d’approvisionnement et sur les prix du pétrole, deux des principaux facteurs de l’accélération de l’inflation.
Considérant les risques importants que la stratégie financière des banques centrales fait peser sur l’économie et sur les salariées et salariés, de nombreux économistes appellent les gouvernements à utiliser d’autres moyens de lutte contre l’inflation, comme renforcer les lois sur la concurrence, taxer les profits excédentaires et limiter les hausses de tarifs que les gouvernements contrôlent, par exemple l’électricité et les services de garde au Québec.
Que nous réserve l’avenir?
Dans un tel contexte, il est normal de se questionner sur les effets de la hausse des taux d’intérêt sur notre économie, sur l’évolution de l’inflation et des taux d’intérêt, sur les possibilités d’une éventuelle récession, etc.
Les prévisions d’inflation de quelques institutions financières indiquent qu’elle devrait se situer autour de 6,6 % pour l’année 2022, avant de redescendre autour de 3,7 % en 2023, puis revenir en 2024 entre 2 % et 2,5 %, soit près de la cible fixée par la Banque du Canada. Ces prévisions semblent crédibles si les prix du pétrole et de l’essence continuent à se stabiliser, puisque ces derniers expliquent à eux seuls environ la moitié de la poussée inflationniste actuelle.
Aussi, considérant l’ampleur de la baisse de l’inflation visée par la Banque du Canada, il semble que le scénario d’une courte récession ne puisse dorénavant plus être exclu. David Macdonald, du Centre canadien de politiques alternatives, montrait récemment que les 3 fois où la Banque du Canada a réussi à faire baisser l’inflation de 5 à 6 points de pourcentage depuis la Seconde Guerre mondiale, l’économie canadienne est passée par un épisode de récession.
Pour l’instant, il semble donc probable que le Québec traversera une courte période de récession (quelques mois) avec une légère remontée du taux de chômage. Toutefois, le contexte géopolitique instable (Ukraine) rend toute prévision bien hasardeuse.
Malgré tout, les institutions financières ne prévoient pas de recul économique sur l’ensemble de l’année 2023. Elles tablent plutôt sur une très faible croissance l’an prochain avec un léger regain en 2024.
Il faut toutefois considérer ces prévisions avec prudence, car elles proviennent de ces mêmes institutions qui affirmaient que l’inflation de 2021 était passagère et qu’elle reviendrait à la normale en 2022.