Dans un règlement édicté le 9 octobre dernier, le ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration apportait des modifications importantes au Programme de l'expérience québecoise (PEQ) qui permet d’attirer ici des milliers d’étudiantes et étudiants étrangers en leur donnant accès à un traitement accéléré vers l’immigration permanente. Devant le tollé provoqué par cette décision méprisante et lourde de conséquences pour ces milliers d’étudiantes et étudiants ainsi que pour les établissements d’enseignement qu’ils fréquentent, le ministre a fait marche arrière.
Mal mesurer l’ampleur du drame
Les droits acquis consentis aux étudiantes et étudiants qui sont déjà au Québec et qui leur éviteront un renvoi expéditif à la fin de leur parcours scolaire relèvent d’un minimum de décence. On peine à comprendre comment ce gouvernement a pu sous-estimer les réactions et, surtout, l’ampleur des drames humains qu’engendrerait sa mesure. On se consolera en sachant que le ministre conserve un brin d’humanité, mais les amendements de dernière minute qu’il a proposés demeurent insatisfaisants.
Petit rappel des faits : alors qu’aucune restriction n’existait par le passé, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) a décidé de restreindre l’accessibilité des étudiantes et étudiants étrangers au PEQ à ceux qui cheminent dans un domaine d’études jugé « prioritaire ». Cette décision a été prise de façon unilatérale et sans réelle consultation des milieux. Seul un obscur avis de suspension temporaire a été émis au beau milieu de l’été et hop, le tour était joué! Résultat : seules les disciplines menant à des métiers et à des professions faisant actuellement l’objet d’une pénurie sur le marché du travail maintiennent leur éligibilité au PEQ. Pourtant, certains programmes dont les finissantes et finissants sont en demande n’y figurent pas. Pensons, par exemple, aux domaines de la santé et du soutien informatique. Cette réforme était si inutilement complexe que même d’éminents chercheurs dans des domaines d'avenir, comme Yoshua Bengio, ne s’y retrouvent pas. Ça sent l’improvisation.
Une bien drôle de vision de l’immigration
Ce nouvel épisode qui fait suite à l’élimination cavalière des 18 000 dossiers non traités du Programme régulier des travailleurs qualifiés (PRTQ) nous révèle une chose : ce gouvernement tient à prendre des décisions marquées en immigration, mais manque cruellement de vision. Le dossier de l’immigration est complexe, on en conviendra, mais encore faut-il essayer de comprendre… et d’écouter.
On ne peut résumer l’enjeu qu’à une simple adéquation avec des besoins immédiats de main-d’œuvre. Sept cosignataires possédant une solide expertise dans le domaine allaient même plus loin dans une lettre ouverte parue en février dernier : « Atteindre un jumelage presque parfait entre les candidats et les besoins immédiats du marché du travail, c’est mettre en cause la nature même de l’immigration permanente ». On ne saurait mieux dire.
Considérer les étudiantes et étudiants étrangers du Québec comme de simples « bouche-trous » relève d’une vision simpliste de l’immigration. Avec des parcours de formation et des processus de sélection qui s’échelonnent sur plusieurs années, quelle garantie avons-nous que les besoins futurs sur le marché du travail correspondront aux priorités déterminées par le ministre? Poser la question c’est y répondre.
Ouvrons nos portes à celles et ceux qui choisissent le Québec
Le PEQ n’est pas une panacée ou, encore, la solution à tous nos défis en immigration, mais il constitue une voie d’accès prometteuse nous permettant d’accueillir de futurs Québécois et Québécoises ayant un potentiel inouï et maîtrisant le français. Pourquoi tourner le dos à des personnes qui ont choisi le Québec, qui ont été formées ici, qui parlent notre langue et qui bénéficient d’un important bagage d’expérience parmi nous – hiver compris?
Ces candidates et candidats sont taillés sur mesure pour une trajectoire d’immigration réussie et ils peuvent déjà compter sur un réseau social et professionnel alors qu’ils amorcent une transition cruciale dans leur vie. Et pour plusieurs, ce réseau s’est tissé dans une de nos magnifiques régions, ce qui est loin d’être banal.
Les étudiantes et étudiants étrangers sont une bouffée d’air frais pour bon nombre de campus situés en région. Pour ces établissements, leur présence est un gage de pérennité et elle contribue au maintien d’une offre de formation diversifiée qui profite à toutes et tous. Leur apport est non négligeable et structurant. Dans les centres de formation professionnelle, ils peuvent représenter jusqu’à 40 % de toutes les inscriptions. Au cégep de Matane, ils forment environ 45 % de l’effectif à la formation régulière et à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, plus d’un étudiant sur dix est désormais issu de l’international. C’est considérable! Il faudrait être vraiment naïf pour croire que cette désertion artificielle, entièrement provoquée par Québec, n’aura pas d’impact négatif dans ces milieux.
On a tous le droit à l’erreur. Nous saluons le maintien de l’accès au PEQ pour les étudiantes et étudiants étrangers actuellement au Québec, mais les restrictions disciplinaires demeurent et elles auront tôt fait de précariser nos centres de formation professionnelle, nos cégeps et nos universités. Si ce gouvernement est véritablement, tel qu’il le prétend, au diapason des régions, il n’a d’autre choix que de rétablir l’accès au PEQ pour l’ensemble des étudiantes et étudiants étrangers du Québec.