« Ce n’est pas qu’ils n’ont pas d’intérêt envers la politique, ils ont plutôt l’impression que ce sont les partis politiques qui ne s’intéressent pas à eux », affirme Sébastien Dallaire, directeur général d’Ipsos Québec. De fait, dans un sondage que la firme a publié en mars 2022, seulement 14 % des jeunes âgés de 18 à 30 ans estimaient que les partis politiques portaient beaucoup d’attention aux enjeux qui sont importants à leurs yeux, soit l’environnement, la santé mentale, les inégalités sociales, etc. Ils sont donc nombreux à penser que ces questions ne tiennent pas assez de place dans les programmes électoraux de la plupart des partis politiques.

Cela a forcément un effet sur leur participation électorale. Lors des élections provinciales de 2018, un peu plus de la moitié (53,4 %) des jeunes de moins de 35 ans ont fait valoir leur droit de vote, comparativement à 69,6 % des personnes de 35 ans et plus, selon les statistiques d’Élections Québec. Ils ont été plus nombreux à voter lors des élections de 2012, alors que 62,7 % des 18 à 24 ans et 66 % des 25 à 34 ans se sont présentés aux urnes — un phénomène relié à la mobilisation étudiante contre la hausse des droits de scolarité.

L’abstention n’est pas synonyme de désengagement

« C’est vrai que les jeunes votent en moins grand nombre que les générations précédentes. Cela ne veut pas dire qu’ils sont moins engagés politiquement pour autant. C’est plutôt qu’ils s’engagent de manière différente en participant, par exemple, à des manifestations, en faisant du bénévolat auprès d’organismes liés à une cause qui les rejoint, en signant des pétitions. Ils sont donc loin d’être apathiques », soutient Valérie-Anne Mahéo, professeure adjointe au Département de science politique de l’Université Laval et membre du Centre pour l’étude de la citoyenneté démocratique.

Ils sont aussi moins portés à adhérer aux idées d’un parti et à voter du « même bord » élection après élection, comme peuvent le faire leurs ainées et ainés. « Ils ont davantage un engagement à la carte, plus flexible et moins idéologique par rapport au programme électoral des partis politiques », ajoute-t-elle.

Une question de confiance

S’ils votent moins, c’est aussi parce qu’ils sont jeunes justement. « Entre 18 et 34 ans, ils vivent de nombreuses transitions entre le départ de la cellule familiale, la fin des études, l’entrée sur le marché du travail, explique Valérie-Anne Mahéo. C’est une période intense d’apprentissage de la vie qui monopolise leur attention. »

« Parmi les facteurs associés à leur faible participation électorale, des études ont démontré que les jeunes éprouvaient un sentiment d’impuissance et de doute quant à leurs compétences pour bien comprendre les enjeux politiques. Leur désintérêt vient aussi du fait qu’ils connaissent peu ou mal comment fonctionnent les institutions démocratiques », souligne pour sa part Malorie Flon, directrice générale de l’Institut du Nouveau Monde (INM).

Toujours en ce qui concerne les jeunes, une personne sur quatre ne va pas voter parce qu’elle ne fait pas confiance au système politique, a révélé le sondage d’Ipsos. « Ils reprochent aux politiciens de ne pas tenir leurs promesses, explique Sébastien Dallaire. Et un répondant sur cinq se dit que son vote n’a pas d’importance. »

Contrer le décrochage électoral

L’INM visite régulièrement les écoles pour donner des ateliers sur la participation à la citoyenneté. « Les jeunes ont soif de sens, constate Malorie Flon. Ils s’intéressent aux affaires publiques et au vivre-ensemble. Il reste à trouver le moyen de canaliser cet intérêt pour stimuler leur participation électorale. »

À qui revient cette responsabilité? « C’est l’affaire de tous. Tant la famille que les écoles, les syndicats et même les entreprises ont un rôle à jouer en encourageant leurs employés à aller voter sans chercher à les influencer dans leur choix, bien évidemment », affirme Malorie Flon.

Élections Québec a pris le dossier en main avec la mise sur pied de plusieurs programmes d’éducation à la démocratie offerts aux écoles primaires et secondaires de même qu’aux écoles et organismes de francisation.

Il va de soi que les partis politiques ont un rôle important à jouer pour que les jeunes se sentent plus interpelés. « Malheureusement, ils courtisent moins les jeunes que leurs ainés, ce qui ne les incite pas à participer à la vie politique », soutient Valérie-Anne Mahéo. Les 18-35 ans ont pourtant un poids politique non négligeable puisqu’ils représentaient plus du quart (27,7 %) de l’électorat québécois en 2018, soit l’équivalent de celui des babyboumeurs, selon les données de l’Institut de la statistique du Québec.

« Leur voix compte, donc, pourvu qu’ils aillent voter, affirme la professeure. Pour cela, les partis politiques doivent les joindre là où ils sont, notamment sur les réseaux sociaux. » À ce jeu, certains politiciens et politiciennes réussissent mieux que d’autres, comme Jagmeet Singh, le chef du Nouveau Parti démocratique, qui a su se connecter aux jeunes électrices et électeurs grâce à ses vidéos publiées sur Instagram et TikTok.

Il faut juste souhaiter que d’autres suivent son exemple.


Qu’en pensent les jeunes?

Des trentenaires nous expliquent leur vision de l’engagement politique.

Sarah Smith, 34 ans

Sarah Smith

Enseignante en mathématiques en première année du secondaire dans une école de la banlieue montréalaise, Sarah s’intéresse à la politique malgré un horaire chargé, entre la famille et le travail.

« Je vote aux élections, mais je n’écoute pas forcément le débat des chefs au complet, lance-t-elle en riant. Je prends toutefois le temps de consulter les programmes électoraux des partis. Je trouve ça important pour faire un choix éclairé. Je veux savoir pour qui je vote, pas juste faire un crochet sur un bulletin de vote. »

Elle a un regard critique sur la façon qu’ont des politiciennes et des politiciens de faire de la politique. Elle déplore l’attitude de ceux qui ont tendance à critiquer leurs adversaires pour se valoriser. Elle se souvient encore de Françoise David, alors co-porte-parole de Québec solidaire, qui lors d’un débat des chefs a présenté les politiques de son parti sans jamais démolir ses opposantes et opposants. « J’ai trouvé ça très inspirant, dit-elle. Je préfère nettement ceux qui sont capables d’exposer leurs idées de façon positive. »

Elle profite des périodes électorales pour faire des exercices de statistiques avec ses élèves pour analyser le résultat du vote. « Cela leur permet de constater l’impact de ne pas voter. »

Maxime Boutin

Maxime Boutin, 32 ans

Maxime vient d’une famille qui discutait régulièrement de politique. « Mes parents étaient fonctionnaires. Quand tu travailles pour le gouvernement, ça aide à se politiser », affirme l’enseignant en univers social en quatrième secondaire à l’école La Découverte, de Saint-Léonard-d’Aston, au Centre-du-Québec.

Il exerce son droit de vote aux trois paliers de gouvernement « parce que c’est important ». Il trouve toutefois que les élues et les élus prennent trop souvent des décisions visant surtout à se faire réélire plutôt qu’à améliorer vraiment les choses.

« D’ici 10 ans, la situation va changer puisque les jeunes vont représenter le groupe démographique le plus important. Les partis politiques n’auront pas le choix de tenir compte de leur opinion sur des sujets comme l’environnement, un enjeu universel. »

Mélanie Déziel-Proulx, 35 ans

Mélanie Déziel-Proulx

Cette « féministe engagée » exerce sa participation citoyenne de multiples façons : en allant voter, mais aussi en agissant auprès d’organismes qui défendent des causes qui lui importent, comme l’environnement, les femmes, les membres des communautés LGBTQ+.

« Cela me permet de connaitre et de comprendre différentes réalités », explique la vice-présidente du Syndicat du soutien scolaire de l’Outaouais. C’est aussi pour elle une façon d’apporter sa contribution pour changer les choses.

Elle espère un renouveau politique. « Il y a une rupture du lien de confiance entre les jeunes et les partis politiques qui ne font pas toujours ce qu’ils disent », soutient-elle. Elle souhaite que ces derniers soient plus à l’écoute, plus présents sur les réseaux sociaux, la principale source d’information des jeunes, et qu’ils adoptent une vision politique qui va plus loin que la prochaine élection.