Le Québec vit une rareté, voire une pénurie de la main-d’œuvre, entrainant des conséquences multiples. Quelles en sont les causes?

Fermeture de restaurants en semaine, délais de livraison et périodes d’attente qui s’allongent, surcharge de travail et bris de services ne représentent que quelques problèmes liés aux difficultés de recrutement des employeurs au Québec.

En novembre 2022, le taux de chômage au Québec est descendu à 3,8 %, un creux historique jamais atteint depuis 1976. Ce taux, qui mesure la part des personnes à la recherche d’un emploi au sein de la population active, est en baisse continuelle depuis plusieurs années, abstraction faite de la parenthèse pandémique.

Entre décembre 2015 et novembre 2022, le nombre de personnes au chômage a presque fondu de moitié, passant de 344 200 à 176 800. Il y a de moins en moins de personnes à la recherche d’un emploi au Québec.

Évidemment, dans ce contexte où la main-d’œuvre à la recherche de travail se raréfie, les entreprises et les organisations font face, elles, à des difficultés grandissantes de recrutement. Depuis 2015, Statistique Canada collige le nombre de postes vacants1 et ceux-ci, sans surprise, suivent une tendance à la hausse. Au deuxième trimestre de 2022, 254 475 postes étaient vacants au Québec.

Pour l’ensemble de l’économie québécoise, le nombre de personnes au chômage pour chaque poste vacant a diminué radicalement au cours des dernières années, passant de 5,5 à 0,8. 

Les causes

Il importe de faire un bon diagnostic des difficultés de recrutement que vivent un bon nombre d’entreprises québécoises, car les solutions à mettre en place seront différentes selon leurs origines.

Aujourd’hui, il ne fait aucun doute que plusieurs entreprises et organisations vivent des difficultés d’attraction et de rétention parce que les conditions de travail qu’elles offrent ne sont pas attirantes. Elles doivent d’abord améliorer les conditions de travail et les conditions de salaire offertes, avant de réclamer des pouvoirs publics des solutions de rechange. Certaines de ces solutions, par exemple l’élargissement des programmes de travailleuses et travailleurs étrangers temporaires, peuvent avoir des effets négatifs sur l’ensemble des travailleuses et travailleurs.

1. La démographie 

Au Québec, l’offre de travail se raréfie, en grande partie pour des raisons démographiques. La population québécoise de 20 à 64 ans connait actuellement un léger déclin, qui entraine une diminution du nombre de personnes en âge de travailler.

Depuis quelques années, les cohortes de baby-boomers nés entre 1946 et 1966 quittent massivement le marché de l’emploi pour la retraite. Les jeunes de 20 à 29 ans, quant à eux, sont en nombre limité pour les remplacer.

Les démographes utilisent le concept d’indice de remplacement, soit le nombre de personnes de 20 à 29 ans pour chaque personne de 55 à 64 ans, pour évaluer les entrées sur le marché du travail et les sorties de ce marché. Cet indice est à l’heure actuelle à un creux historique de 0,8 personne entrant sur le marché du travail (20 à 29 ans) pour chaque personne en sortant (55 à 64 ans). Il se situait au-delà de 2,0 dans les années 1970.

Considérant cette réalité démographique, le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale a confié à Emploi-Québec la tâche de poser un diagnostic sur la disponibilité de la main-d’œuvre pour 500 professions2.

 

 

Dans l’édition 2021 de l’État d’équilibre du marché du travail à court et moyen termes, Emploi-Québec évalue à 1 647 700 les emplois à pourvoir pour la période 2021 à 2030. Pour 2021 à 2025, 208 500 emplois devaient être pourvus à titre de rattrapage postpandémie, notamment dans les secteurs durement touchés par les confinements. Ce rattrapage a eu lieu à la fin de 2022.

La demande totale de main-d’œuvre calculée par Emploi-Québec tient compte, en plus du rattrapage postpandémie, de la demande de remplacement (essentiellement pour remplacer les départs à la retraite) et de la demande d’expansion, qui résultent de la croissance annuelle moyenne du nombre d’emplois dans l’économie québécoise (+1,2 % par année).

Emploi-Québec prévoit que l’offre de main-d’œuvre (de 2021 à 2030) proviendra en grande partie de l’immigration et des jeunes qui termineront leurs études, mais également d’une participation accrue au marché du travail des personnes de 65 ans et plus ainsi que d’une hausse du taux d’activité3 des 15 à 64 ans.

Pour la période 2021 à 2025, l’organisme prévoyait également que 18 % de l’offre de main-d’œuvre proviendrait de personnes au chômage, essentiellement attribuable au rattrapage postpandémique déjà réalisé à la fin de 2021.

2. La pandémie et la forte relance postpandémique

En plus du contexte démographique, l’impact de la pandémie sur l’immigration ainsi que la forte relance postpandémique ont accentué les tensions sur le marché du travail québécois.

  • Immigration permanente réduite en 2020

En 2020, au plus fort de la pandémie, le Québec n’a accueilli que 25 000 personnes immigrantes permanentes alors que, depuis quelques années, c’est en moyenne près du double qui venait s’établir au Québec4.

Malgré une hausse soutenue de l’immigration temporaire, notamment par le programme de travailleuses et travailleurs étrangers temporaires, le manque à gagner découlant de l’année pandémique 2020 a eu un effet certain sur la hausse des postes vacants. Il est d’ailleurs à noter que le gouvernement Legault entend accueillir 18 000 personnes supplémentaires afin de rattraper le retard survenu en 2020.

  • Forte relance postpandémique

Entre le début de 2021 et la deuxième moitié de 2022, malgré l’effet restrictif des fortes hausses de taux d’intérêt, l’économie québécoise a fait preuve d’une surprenante vigueur. Libérée des confinements, la population québécoise s’est rapidement remise à consommer de façon soutenue, et plusieurs secteurs économiques, notamment la construction, tournaient à plein régime, mettant une pression accrue sur le marché du travail.

Entre demande et offre de main-d’œuvre

C’est avec ce contexte démographique et postpandémique que l’économie québécoise doit aujourd’hui composer.

Sur le plan de la participation des personnes de 65 ans et plus sur le marché du travail, le Québec a toujours fait office de société distincte. Le taux d’emploi de ces travailleuses et travailleurs plus âgés (32,1 %) est moindre que dans le reste du Canada (34,6 % pour l’ensemble du pays).

Est-ce qu’une hausse du taux d’activité de cette partie plus âgée de la population est vraiment une bonne nouvelle? Ces personnes expérimentées demeurent-elles sur le marché du travail parce qu’elles n’arrivent pas à joindre les deux bouts ou parce qu’elles le désirent réellement? Après avoir tant donné à la société, il faut être en mesure de travailler pour les bonnes raisons.

Quant au taux d’activité des 15 à 64 ans, le Québec a déjà fait des bonds de géant, notamment à l’égard de la présence des femmes sur le marché du travail, avec sa politique familiale et ses services de garde éducatifs subventionnés. Il reste assurément encore des gains à réaliser, notamment auprès de certaines populations historiquement marginalisées, mais ceux-ci seront assurément plus modestes que par le passé.

La hausse de la productivité des entreprises doit également faire partie de l’équation. Le Québec fait encore mauvaise figure à ce chapitre. Nos entreprises doivent multiplier leurs investissements afin d’augmenter notre capacité de produire, plus et mieux, avec moins de main-d’œuvre.

Finalement, il faut peut-être se demander s’il n’y a tout simplement pas trop d’emplois pour la taille de la population active québécoise. Et si c’était le cas, ne faudrait-il pas « choisir » ceux qui apportent le plus de bénéfices pour notre société, comme ceux du secteur public au sens large[1], ou qui sont les plus productifs?

Perdre des emplois faiblement rémunérés pour maintenir et pour développer ceux offrant de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail, n’est-ce pas une recette gagnante pour l’ensemble des travailleuses et travailleurs du Québec et pour l’économie en général?

Rareté, pénurie, problème d’attraction : l’importance des mots

Alors, vivons-nous au Québec une rareté de la main-d’œuvre, une pénurie ou encore des problèmes récurrents d’attraction et de rétention découlant de mauvaises conditions de travail?

Il ne fait aucun doute qu’avec la diminution, ou au mieux la stagnation, de sa population en âge de travailler, le Québec vit actuellement une rareté de la main-d’œuvre jamais connue auparavant. Il semble également indéniable que certaines pénuries existent de façon plus spécifique pour différentes professions et dans certaines régions. Il est finalement tout aussi évident que, pour plusieurs secteurs et plusieurs entreprises, les faibles salaires et les autres mauvaises conditions de travail expliquent en bonne partie les difficultés de recrutement.

Pour les travailleuses et travailleurs, la rareté de la main-d’œuvre pose de multiples défis alors que les employeurs :

  • Leur refusent des demandes de congés et de libérations syndicales;
  • Les obligent à faire des heures supplémentaires;
  • Leur demandent d’épauler et de soutenir davantage des personnes ayant suivi des formations accélérées ou n’ayant tout simplement pas les qualifications requises;
  • Demandent de ne pas encadrer le travail des jeunes alors que ceux-ci sont sollicités à des âges de plus en plus bas, etc.

En parallèle, le contexte de rareté de la main-d’œuvre modifie le rapport de force des travailleuses et travailleurs, ce qui pourrait leur permettre d’améliorer leur salaire et leurs conditions de travail.

Au cours des prochains mois et des prochaines années, nous devrons donc nous assurer que les solutions collectives et celles mises en œuvre au sein des organisations et des entreprises sont favorables aux travailleuses et travailleurs.

Au cours des prochains mois et des prochaines années, nous devrons donc nous assurer que les solutions collectives et celles mises en œuvre au sein des organisations et des entreprises sont favorables aux travailleuses et travailleurs.

Travailleuses et travailleurs peu qualifiés (et peu payés!) recherchés

Un nombre important de postes vacants à pourvoir concerne des emplois exigeant peu de scolarité et qui sont peu rémunérés. Selon les données de Statistique Canada, 59 % des postes vacants requièrent seulement un diplôme d’études secondaires ou moins (tableau I) et 24 % offrent des salaires de 18 dollars l’heure ou moins.

Si les postes vacants sont présents dans de très nombreux secteurs économiques, un nombre très important se concentre dans ceux de l’hébergement, de la restauration et du commerce du détail. Cela n’est guère surprenant, considérant les difficultés vécues par ces secteurs durement touchés par les confinements successifs durant la pandémie.

Ces données permettent de se questionner sur les raisons fondamentales des difficultés de recrutement vécues par certaines entreprises : est-ce parce qu’il manque de travailleuses et travailleurs ou parce que le salaire et les conditions de travail offerts ne sont tout simplement pas intéressants?

Professions sous tension

Depuis quelques années, Emploi-Québec pose un diagnostic sur l’offre et la demande de main-d’œuvre pour 500 professions. Les résultats de la dernière analyse (2021) montrent que près de 41 % des professions sont évaluées en déficit de main-d’œuvre à l’horizon de 2025. Un grand nombre de professions du secteur public, de la petite enfance et du secteur communautaire en font partie.

[1]    Nous entendons ici les emplois dans le secteur public, mais également ceux du réseau de la petite enfance, du secteur communautaire et de la culture, notamment.

1 Poste vacant : il s’agit d’un poste pour lequel un employeur cherche activement une personne à l’extérieur de l’organisation pour le pourvoir dans un délai maximum de 30 jours.

 2 Classées selon la Classification nationale des professions.

 3 Taux d’activité : nombre de personnes actives (en emploi ou en chômage) sur le nombre de personnes âgées de 15 ans et plus.

 4 L’impact de l’immigration sur le marché du travail est un sujet à débat. Alors que certains économistes y voient une solution miracle, d’autres soulignent que son impact est très limité puisque les immigrantes et immigrants qui arrivent ici augmentent aussi la demande de biens et de services, donc la demande de main-d’œuvre.