L’année 2017 a marqué le 50e anniversaire des cégeps, une innovation québécoise qui demeure un grand succès. Voici un tour d’horizon des enjeux entourant le financement des cégeps.
L’ABC du FABES : Portrait des règles de financement des cégeps
Le financement des cégeps provient à 83 % des allocations versées par le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES). L’éducation collégiale régulière étant réputée gratuite, les étudiantes et étudiants contribuent pour moins de 4 % du budget par différents frais afférents ou frais de scolarité pour les études à temps partiel et en formation continue. Les subventions des autres ministères, particulièrement par l’entremise d’Emploi-Québec, comptent pour 6 % du total, alors que les revenus des activités autofinancées ne représentent que 7 % de l’ensemble.
Le financement du MEES est composé de deux allocations, l’une visant à financer le fonctionnement, l’autre permettant des investissements dans les immeubles, le matériel technologique et le mobilier. La détermination des allocations pour chaque cégep s’appuie sur un corpus de formules et de règles complexes décrites dans le document Régime budgétaire et financier des cégeps.
Les allocations liées au fonctionnement sont les plus importantes et sont regroupées sous l’acronyme FABES, soit les allocations Fixes, les Activités pédagogiques, les Bâtiments, les Enseignants et les allocations Spécifiques.
Le F pour les allocations fixes de base
Une allocation de base est offerte à chacun des cégeps, peu importe sa taille ou ses caractéristiques. Elle sert à garantir une structure minimale de gestion et de services aux étudiantes et étudiants. Chacun des 48 cégeps reçoit une somme de 1,95 million de dollars. Cette allocation fixe est bonifiée pour les cégeps éloignés des grands centres. Les allocations fixes représentent 7 % du financement total qui s’élève à 1,8 milliard de dollars pour 2016-2017.
Le A pour financer les activités pédagogiques selon leur volume
L’enveloppe A vise à assurer le financement des activités pédagogiques et des services liés aux activités de formation et d’encadrement des étudiantes et étudiants inscrits au DEC, à l’exception de la masse salariale du personnel enseignant. Ces activités comprennent les services liés à l’enseignement (ressources didactiques, bibliothèques, soutien en laboratoire, etc.), les services directs aux étudiantes et étudiants, ainsi que certains services de gestion (ressources humaines, registrariat, reprographie et approvisionnement).
Le montant de cette enveloppe est proportionnel au nombre d’étudiantes et d’étudiants inscrits en formation générale mesuré en nombre de périodes d’enseignement par étudiant par semaine (PES). Notons que ces sommes sont utilisées à la discrétion de chacun des cégeps et qu’elles financent une partie de la masse salariale du personnel professionnel et de soutien.
Le B comme dans bâtisses, béton, bureaux et belle pelouse
L’allocation pour le volet B subventionne les besoins liés à la gestion et à l’entretien des bâtiments et terrains ainsi qu’à la sécurité et aux assurances. Ces sommes, proportionnelles à la superficie des installations, servent à financer quelques emplois (gestion et entretien), mais demeurent transférables selon les décisions des directions de chaque cégep.
Le E pour déterminer combien de ressources enseignantes seront financées
L’allocation pour la masse salariale des enseignantes et enseignants est la plus importante (figure 1). Elle représente 60 % du budget global et plus de 1 milliard de dollars pour l’enseignement régulier.
Cette enveloppe non transférable sert à déterminer combien de ressources enseignantes chacun des cégeps pourra embaucher pour l’année en cours. Outre la masse salariale, elle couvre aussi les autres couts liés à la convention collective et au perfectionnement. Les sommes varient directement selon le volume des activités d’enseignement (mesuré par les PES) et sont modulées selon les exigences de chacun des programmes.
Le S pour les allocations spécifiques, spéciales et ciblées, mais pas toujours stables
Ces allocations financent un ensemble de mesures spécifiques répondant aux orientations ministérielles et au financement d’initiatives touchant des objectifs très variés.
Les 42 programmes actuels ont leurs propres règles d’allocation, la plupart n’étant pas transférables et faisant l’objet de reddition de comptes particulière. Ces allocations spécifiques comptent pour 11 % du budget total et représentent une somme de 143 millions de dollars sur l’ensemble du réseau.
Impacts des compressions
Au cours des dernières décennies, le financement des cégeps a progressé en dents de scie. Après des compressions importantes au début des années 2000, un réinvestissement a été amorcé en 2006, mais l’austérité est revenue à la suite de la crise économique de 2009. Au total, on estime à 155 millions de dollars les compressions cumulées entre 2011 et 2015 (Fédération des cégeps (2013) Rapport annuel 2012-2013, Rapport annuel 2013-2014)
Depuis le budget 2016-2017, le gouvernement a entrepris d’augmenter les sommes accordées au collégial. Toutefois, les impacts des compressions et de la réallocation des ressources laissent encore des séquelles importantes.
Des impacts sur les différentes enveloppes du FABES
Les trois composantes FAB ont subi une diminution de leur enveloppe totalisant près de 50 millions de dollars depuis 2013. Ces enveloppes peuvent être transférées et servent, entre autres, à l’embauche du personnel de soutien et professionnel.
Notons que la composante E pour l’enseignement régulier est protégée par les conventions collectives. Elle a évolué au rythme des PES et des modifications aux paramètres salariaux ou des autres dispositions de la convention collective.
Quant aux différentes allocations du volet S, elles ont connu une trajectoire inverse des composantes FAB, avec un bond important depuis 2013 (52,1 %). Les allocations spéciales représentent donc la majorité des sommes réinvesties dans le réseau collégial.
Impacts des compressions sur les étudiants et le personnel
Pour absorber des compressions importantes et répétitives, les établissements ont limité des services, réduit le nombre d’employés et négligé l’entretien des bâtiments.
En 2016, la Fédération étudiante collégiale du Québec a recensé les impacts des compressions de 2011 à 2015. Les abolitions de postes pour les techniciens en loisir, en travaux pratiques ou en laboratoire, les aides pédagogiques, les professionnels en soutien aux élèves ou à l’administration en sont des conséquences récurrentes. Souvent les cégeps ont réduit les heures de laboratoire ou d’ouverture de la bibliothèque et augmenté les frais exigés aux étudiantes et étudiants. Les compressions ont contribué à maintenir une majorité d’employées et d’employés dans un état de précarité et ont augmenté la charge de travail pour le personnel de soutien, professionnel et enseignant.
Compte tenu de ces conséquences, un réinvestissement général dans l’ensemble des enveloppes du FABES doit être fait rapidement si nous souhaitons maintenir la qualité et l’accessibilité des services offerts par les cégeps. En plus de ce réinvestissement essentiel, des modifications devraient être apportées au mode de financement afin de corriger certains problèmes.
Problèmes liés au mode actuel de financement des cégeps
Les règles budgétaires garantissent très rarement que les sommes attribuées soient réservées à des emplois professionnels ou de soutien, et les enveloppes FAB – qui financent la majorité de ces emplois – sont transférables selon les priorités des directions de cégeps.
Absence de plancher pour les services professionnels et de soutien
Les règles budgétaires garantissent très rarement que les sommes attribuées soient réservées à des emplois professionnels ou de soutien, et les enveloppes FAB – qui financent la majorité de ces emplois – sont transférables selon les priorités des directions de cégeps.
Dans ce contexte, les règles budgétaires n’assurent aucun niveau de services minimum. Les enveloppes du volet S, qui s’adressent à ces catégories d’emplois, sont souvent soumises aux humeurs politiques des gouvernements. Résultat : le personnel professionnel et de soutien représente des variables d’ajustement qui permettent de boucler le budget au gré des fluctuations des subventions.
Financement incomplet pour le maintien des immeubles et du mobilier
Le financement inférieur aux besoins estimés pour le maintien des immeubles et du mobilier force les administrations à rogner sur l’entretien de manière récurrente.
Dans un contexte où le déficit de maintien des infrastructures est estimé à près de 170 millions de dollars pour le réseau collégial, il devient de plus en plus difficile de sacrifier l’entretien des immeubles pour protéger d’autres services.
Une enveloppe fermée pour la formation continue
Actuellement, le financement de la formation continue est basé sur une enveloppe faussement ouverte. En effet, les sommes versées aux cégeps sont proportionnelles aux PES réellement effectuées mais, concrètement, c’est le MEES qui détermine le nombre de PES que chaque cégep peut offrir.
Les sommes disponibles sont donc limitées par l’enveloppe globale qui, elle, est fermée. Cette enveloppe limitée vient restreindre l’offre de programmes et le nombre de places disponibles. Plusieurs programmes ont actuellement des listes d’attente.
Cégeps en région
La création de cégeps dans toutes les régions témoigne de la volonté gouvernementale de faciliter l’accès aux études supérieures et d’offrir aux collectivités locales et régionales des pôles d’attraction éducatifs, sociaux et culturels sur l’ensemble du territoire québécois.
Pourtant, les cégeps en région ressentent de manière plus vive les compressions des dernières décennies. Ils vivent des défis associés à la fois à leur petite taille ainsi qu’aux diminutions d’effectif étudiant en lien avec le déclin démographique de leur territoire. Dans un contexte où une grande partie du financement est associée à la taille de l’effectif étudiant, il devient difficile pour un cégep de petite taille d’assurer le financement des services de base tant administratifs, techniques que professionnels et de maintenir une diversité de programmes.
Il est vrai que les règles budgétaires actuelles comprennent déjà un ensemble de mesures pour aider les cégeps en région. Par contre, il est loin d’être certain que ces mesures sont suffisantes et constituent une réponse adéquate aux problèmes vécus.
Une place trop grande accordée aux projets spécifiques
L’instabilité du financement du réseau se caractérise également par l’apparition et la disparition d’un ensemble de mesures spécifiques qui incarnent les orientations des ministres successifs. Malheureusement, bien souvent, ces sommes ne sont ni structurantes ni garanties dans le temps.
Vers une révision du mode de financement des cégeps
Devant les demandes répétées de plusieurs acteurs du réseau collégial de discuter des problèmes occasionnés par le mode de financement, la ministre responsable de l’Enseignement supérieur a annoncé son intention d’amorcer des travaux sur cette question dès l’automne prochain.
La CSQ et ses fédérations du réseau collégial saisiront l’occasion pour présenter leurs solutions, en insistant d’abord sur l’urgence d’un réinvestissement dans l’ensemble des enveloppes du FABES. Aucune transformation des règles de financement venant uniquement modifier la distribution entre les cégeps – sans augmenter le budget global – ne saurait être acceptable.