Économie

Un budget qui ne va pas assez loin

18 avril 2024

Après la pluie d’annonces des dernières semaines : 500 M$ pour la santé mentale, 9 G$ pour l’armée, un « Plan du Canada pour le logement » à 5 G$, 1 G$ pour l’aide alimentaire et 2,1 G$ pour amorcer la mise en place d’une assurance médicaments universelle et publique…, il nous semblait difficile d’être surpris par le budget fédéral déposé ce mardi par la ministre des Finances, Chrystia Freeland.  

Par Pierre-Antoine Harvey et Minh Nguyen, conseillers CSQ  

À la surprise générale, le déficit est inférieur aux prédictions des analystes. Un déficit de 40 G$ équivalant à seulement 1,3 % du PIB, soit trois fois moins que la moyenne des pays de l’OCDE1. Le gouvernement pourra remercier la vigueur imprévue de l’économie au Canada et aux États-Unis pour ces bons résultats.  

Ce budget, qui se veut progressiste et axé vers les jeunes générations, fait plusieurs pas dans la bonne direction. Cependant, il aurait pu aller beaucoup plus loin, étant donné les différentes crises réelles auxquelles la population fait face. 

Une plus grande justice fiscale 

La Centrale des syndicats du Québec (CSQ) se préoccupe de la justice fiscale et salue l’initiative du gouvernement fédéral d’augmenter les impôts sur les gains en capital des plus riches, ce qui devrait générer des recettes fiscales supplémentaires de 17,7 milliards de dollars. 

Actuellement, les Canadiens paient des impôts sur 50 % de leurs gains en capital. Le gouvernement a annoncé que ce taux passera à 66 % pour les gains supérieurs à 250 000 $ annuellement à partir du 25 juin 2024. Pour les gains inférieurs à ce seuil, la partie imposable demeure à 50 %. De plus, le taux d’inclusion des gains en capital des entreprises et des fiducies sera également majoré de 50 % à 66 %. 

 

Gain en capital Exemption résidence principale Gain imposable Impôt à payer Supplément d’impôt
Ancienne formule Nouvelle formule Ancienne formule Nouvelle formule
Personne seule qui vend son duplex détenu depuis 20 ans 800 000 $ 400 000 $ 200 000 $ 224 000 $ 100 000 $ 112 000 $ 12 000 $
Couple qui vend leur chalet (maison ancestrale patrimoniale) 600 000 $ 300 000 $ 316 000 $ 150 000 $ 158 000 $ 8 000 $
Chalet moyen au Québec sur 20 ans 325 000 $ 162 500 $ 174 500 $ 81 250 $ 87 250 $ 6 000 $

 

 

 

Investissements dans le logement abordable (et non social!) 

Le gouvernement fédéral s’engage à encourager la construction de 250 000 logements supplémentaires d’ici 2031, comme indiqué dans son « Plan du Canada pour le logement » de 8 G$ qui introduit plusieurs mesures d’aide aux constructeurs, aux futurs propriétaires ainsi qu’aux locataires. 

Cependant, cette initiative, bien qu’essentielle, demeure encore trop timide en termes de développement du logement social ou coopératif, qui est essentiel pour aider les ménages les plus pauvres, soit les premières victimes de la crise du logement. 

En parallèle, Ottawa prévoit transformer des terrains et des édifices fédéraux afin de construire 30 000 nouveaux logements à travers le Canada. Le budget nous apprend que Postes Canada, qui compte plus de 1 700 bureaux de poste à travers le pays, et les Forces armées pourraient devoir se départir d’immeubles sous-occupés. 

Malheureusement, la cible de logements dits « abordables » est fixée à seulement 20 %, sans garantie qu’il s’agisse de véritables logements sociaux en dehors du marché privé. 

Enjeux autochtones 

En ce qui concerne les dépenses pour les peuples autochtones, le budget fédéral prévoit cette année des investissements avoisinant les 3 milliards de dollars à travers le pays. Malheureusement, ce montant est insuffisant, surtout en prenant en compte les besoins criants en matière de services essentiels qui ne sont pas pourvus dans les communautés des Premières Nations. 

La santé et le soutien de la jeunesse recevront la part du lion des fonds destinés aux peuples autochtones dans le budget fédéral 2024-2025. Ottawa prévoit investir 1,06 milliard de dollars dans le premier de ces domaines et 499 millions de dollars dans le second. En santé, l’accent est mis sur l’amélioration de l’accès aux soins et aux services de santé mentale, avec des investissements respectifs de 1,06 milliard de dollars (dont 646 millions cette année) et de 630 millions de dollars (dont 315 millions cette année). 

On s’éloigne de la transition juste 

Si le dernier budget avait une forte saveur environnementale, la transition juste est la grande absente du budget 2024-2025. La mesure à connotation environnementale qui se démarque semble être avant tout une protection contre les attaques préélectorales du Parti conservateur. 

Près de 600 000 entreprises de moins de 500 employés recevront une compensation pour la taxe carbone. La taxe de 80$ par tonne de carbone émis génère beaucoup de mécontentement dans toutes les provinces…, à l’exception du Québec et de la Colombie-Britannique, qui ont leur propre Bourse du carbone ou une taxe déjà plus élevée. 

Marcher sur les platebandes de Québec 

Plusieurs des mesures progressistes mises de l’avant par Ottawa laissent présager un empiètement sur les compétences provinciales. La défense des juridictions du gouvernement du Québec est importante, mais elle ne doit pas être une excuse pour l’immobilisme. Québec doit s’entendre avec Ottawa pour recevoir les sommes équivalentes, tout en s’assurant que ces dernières serviront à la mise sur pied de programmes, totalement québécois, qui s’attaqueront aux problèmes concrets de la population. 

Par exemple, l’argent fédéral prévu pour l’assurance médicaments doit permettre la mise en place d’un réel régime public universel d’assurance médicaments québécois. Elles ne doivent pas être détournées afin de servir de « plaster » sur le régime hybride québécois, qui a démontré ses lacunes2. 

La stratégie du saupoudrage 

La stratégie du gouvernement consistant à disperser les fonds dans une multitude de mesures, bien que progressive, présente des lacunes. Le saupoudrage financier sur divers postes de dépenses entraine une mise en œuvre partielle de nombreuses initiatives, notamment en ce qui concerne l’assurance médicaments universelle et à payeur unique …, qui ne couvre qu’une sélection restreinte de médicaments3. 

Pour répondre aux besoins actuels, des mesures structurantes sont nécessaires pour stabiliser réellement l’économie et soutenir les travailleurs. Malheureusement, la stratégie du saupoudrage ne suffira pas à accomplir cette tâche. 

Des finances publiques qui vont bien 

Quoi qu’en disent les prophètes de l’austérité : surprise! Les finances publiques du Canada vont bien! Le déficit n’a pas explosé, et le pays se retrouve avec la dette la plus soutenable des pays membres du G74. La crise du logement, la crise écologique, la crise de l’abordabilité, la crise des conditions de vie dans les communautés autochtones, etc., exigeaient que le gouvernement intervienne. Il faudrait même qu’il accélère ses interventions et les coordonne mieux avec les provinces si nous voulons offrir un répit à la population, qui subit les conséquences de ces multiples crises.