Société
Travailler sous surveillance
19 février 2024
Dans un monde où les changements technologiques sont difficiles à suivre, surtout avec l’implantation massive du télétravail, les moyens utilisés par les employeurs pour surveiller leurs employés et leur productivité foisonnent. C’est d’ailleurs ce qui a inspiré la production du Guide pratique sur la surveillance électronique au travail, réalisé par le Service aux collectivités de l’Université du Québec à Montréal (SAC-UQAM) et pour lequel les membres de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) ont été consultés au printemps 2023.
Dans sa célèbre chanson « Mon pays », Robert Charlebois prête sa voix à un texte de Réjean Ducharme, incarnant un « petit boss » qui surveille son employé, décrivant chaque minute passée au « truck de la cantine », à lire le Montréal Matin, une heure l’avant-midi, une heure l’après-midi. Finalement, l’histoire se termine mal pour le tire-au-flanc.
Bien que 54 ans nous séparent de la sortie de cette chanson, on ne peut pas dire que les choses ont tant changé. Les employeurs ont maintenant à leur disposition une multitude d’outils technologiques pour accroitre leur capacité à surveiller les membres de leur personnel qui, eux, n’ont pas pleinement confiance.
Le sentiment d’être surveillé
Le Guide pratique sur la surveillance électronique au travail se veut une synthèse des mesures de surveillance utilisées au quotidien par les employeurs de quelque 800 membres de la CSQ, de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), partenaires du projet.
La consultation révèle que 82 % des personnes sondées rapportent être soumises à au moins une technologie de surveillance électronique; 30 % d’entre elles se sentent constamment surveillées au travail au moyen de technologies, de logiciels et de divers appareils. Cette situation peut générer de l’anxiété et contribuer aux facteurs de risques psychosociaux du travail.
Des technologies intrusives
Bien que les moyens de surveillance électronique restent somme toute classiques (cartes d’accès aux édifices ou à la machinerie, caméras de surveillance, appels enregistrés, surveillance des courriels, des statuts Teams, etc.), de nouvelles technologies émergent.
Parmi les plus étonnantes relevées par l’étude, en voici quelques-unes :
Technologie | Description | Exemple |
Caméra avec reconnaissance faciale | Identification via la reconnaissance faciale. | L’employée ou l’employé doit utiliser cette technologie pour se connecter à un appareil. |
Géolocalisation | Localisation et suivi des déplacements, sur les lieux de travail ou à l’extérieur. | L’utilisation de GPS pour optimiser les parcours des livreurs. |
Médias sociaux | Surveillance (ou archivage) des publications des employées et employés sur leurs réseaux sociaux personnels. | Captures d’écran de conversations ayant lieu dans des groupes privés. |
Messageries instantanées | Enregistrement et suivi actif du contenu des messages instantanés, y compris le texte, les émojis et d’autres contenus. | La vérification du contenu des messages privés entre deux personnes. |
Captures d’écran aléatoires | Captures épisodiques de l’écran de l’ordinateur, incluant les onglets ouverts et l’activité en cours. | Une capture de l’écran de l’ordinateur est faite de façon régulière afin de surveiller les activités non productives. |
Photos depuis la caméra de l’ordinateur | Prise de photos ou de vidéos des employées et employés par la caméra frontale de l’ordinateur. | Des photos sont prises durant la journée dans le but de vérifier que la personne est à son poste. |
Surveillance des rencontres en visioconférence | Enregistrement ou écoute des réunions virtuelles réalisées sur les ordinateurs de l’employeur. | L’enregistrement et la transcription du contenu de la réunion sont visionnés par l’employeur. |
Seulement 3 % des personnes sondées jugent que les technologies de surveillance auxquelles elles sont soumises sont légitimes. Au total, 72 % sont d’avis que l’utilisation de ce type de moyens facilite l’intrusion de leur employeur dans leur vie privée, les membres d’une famille pouvant être photographiés à leur insu alors que l’employée ou l’employé est en télétravail.
Éthique recherchée
Les enjeux éthiques soulevés par l’utilisation de ces nouvelles technologies n’ont pas fini d’occuper sociologues et philosophes. Alors qu’une importante proportion des travailleuses et des travailleurs sondés ne sont pas au courant des technologies de surveillance auxquelles ils sont soumis, le Guide révèle que le manque de transparence peut instaurer un climat de méfiance délétère pour les relations entre employeurs et employés.
La protection des données personnelles constitue un autre enjeu majeur puisque les informations colligées sur les activités du personnel peuvent être enregistrées et conservées pour une période inconnue. Rares sont les politiques spécifiques ou les clauses de convention collective relatives à ces données collectées par les employeurs dans le cadre d’opérations de surveillance électronique.
Les mots-clés : confiance et collaboration
Selon les chercheuses et chercheurs qui ont travaillé à la préparation du Guide, la collaboration avec les employées et employés dans l’implantation des technologies de surveillance électronique est la clé pour s’assurer de créer un climat de confiance.
En consultant le personnel et en ouvrant le dialogue, les organisations s’assurent d’une utilisation légitime et transparente des technologies.