Économie

Réduction du taux directeur : un répit pour les travailleurs, mais une vigilance nécessaire

13 juin 2024

L’annonce récente de la baisse du taux directeur par le gouverneur de la Banque du Canada en a réjoui plus d’un la semaine dernière. Mais qu’est-ce qui se cache derrière la politique monétaire de l’institution?

Par Minh Nguyen, conseiller CSQ

L’annonce de la Banque du Canada du 5 juin dernier d’une réduction du taux directeur de 5 % à 4,75 % peut être accueillie avec soulagement par les travailleuses et travailleurs, d’autant plus que son gouverneur, Tiff Macklem, a indiqué que d’autres baisses suivront. Le gouverneur Macklem a déclaré que, malgré l’excédent d’offres, l’économie peut encore croître tout en réduisant l’inflation. Évidemment, il a aussi spécifié que le nombre et le rythme des baisses de taux dépendront des données économiques. 

La philosophie économique derrière la politique monétaire 

Si on peut se réjouir de ce souffle pour les travailleuses et travailleurs, il demeure légitime de réfléchir à ce que signifient, globalement, les actions de la Banque du Canada durant les dernières années. Après tout, les hausses successives du taux directeur pour combattre l’inflation ces dernières années ont fait mal au portefeuille des travailleuses et des travailleurs, et nous devons chercher à comprendre quelle philosophie économique se cache derrière ces décisions. 

 

L’origine de la crise 

Rappelons que la forte hausse de l’inflation a été précédée d’une fermeture de l’économie mondiale qui a mené à l’interruption de la chaîne d’approvisionnement. Bon nombre de travailleuses et travailleurs ont perdu leur emploi, temporairement ou de façon permanente, durant cette fermeture de l’économie, et la Banque du Canada a alors baissé les taux à 0,25 % pour stimuler la demande. 

Une fois la grande interruption de l’économie terminée, lorsque la pandémie était un peu plus sous contrôle, on a pu constater que les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement à travers le monde pendant environ six mois avaient entraîné des pénuries de stocks, des retards de livraison et une hausse des prix qui a affecté tout le monde, causant des ondes de choc dans l’économie mondiale. 

L’offre plus que la demande 

Cela dit, la raison de la hausse des prix provenait d’un choc de l’offre plutôt que de la demande. Ce n’est pas parce que les consommateurs voulaient consommer encore plus que les prix des biens et services ont augmenté. Au contraire, c’est en grande partie à cause de la globalisation de notre économie et de la délocalisation de la production que les chaînes d’approvisionnement ont été si peu résilientes au niveau de la production et de l’offre. 

Les banques centrales, dont la Banque du Canada et la Federal Reserve aux États-Unis, ont opté pour une stratégie qui pénaliserait la demande pour refroidir l’économie : l’augmentation du taux directeur, pénalisant ainsi les travailleuses et travailleurs. 

Entre 2010 et 2021, le taux directeur se situait toujours dans une fourchette entre 0,25 % et 1,75 %. Le choc est venu en partie du fait qu’entre le 31 mars 2022 et le 12 juillet 2023, le taux directeur est passé de 0,25 % à 5 %, forçant ainsi les travailleuses et travailleurs à réduire leurs dépenses (tout en contribuant à l’inflation du poste de dépenses de l’habitation, mais ça, nous en avons déjà parlé). 

Stimuler la croissance par l’emploi et les infrastructures 

La mission de la Banque du Canada est restée la même depuis sa création en 1934, c’est-à-dire de réguler le crédit et la monnaie dans le l’intérêt primordial de l’économie du Canada. Cependant, l’approche de la Banque pour accomplir cette mission a évolué au fil des années et indique une transformation de sa conception et de ce que signifie le l’intérêt de l’économie fédérale. 

En effet, les années suivant la création de la Banque, soit les années 1930 et 1940, ont été consacrées à relever les défis économiques de la Grande Dépression et à soutenir les efforts de guerre du Canada. Elle a maintenu des taux d’intérêt peu élevés pour encourager l’investissement et la croissance économique, en mettant l’accent sur une politique monétaire ayant comme perspective le plein emploi. Autrement dit, durant cette période, la philosophie guidant la Banque du Canada allait davantage dans le sens de la croissance économique stimulée par les travailleuses et les travailleurs. 

Après la Seconde Guerre mondiale, la Banque a maintenu des taux d’intérêt bas pour favoriser les investissements continus dans les infrastructures, la fabrication, le logement et les biens de consommation. Cette période a été marquée par une économie forte et un faible taux de chômage ainsi que l’émergence de ce qu’on peut appeler la classe moyenne. 

Favoriser le capital au détriment de l’emploi 

Cette conception de la croissance économique fondée sur le plein emploi a tranquillement muté en une priorisation de la lutte à l’inflation en augmentant les taux directeurs. Cela avantage les détenteurs du capital plutôt que les travailleuses et travailleurs. Cette manière de faire et de voir les choses a atteint son paroxysme le 6 août 1981, avec un taux directeur de 21,24 %, entraînant ainsi des conséquences sur le chômage qui a atteint un taux annuel moyen record de 14,2 % en 1982 au Québec. 

Bien que les choses soient moins dramatiques pour les travailleuses et travailleurs aujourd’hui, la politique monétaire de la Banque du Canada continue d’être guidée par une recherche de la lutte à l’inflation plutôt que du plein emploi. Tiff Macklem a dit lui-même, en 2022, qu’un taux de chômage très bas était intenable sur le long terme mettant en lumière ouvertement son biais envers le capital plutôt que le travail.  

Rester sur nos gardes 

À la lumière de tout ceci, les travailleuses et travailleurs peuvent tout de même se réjouir de la baisse du taux directeur de juin et de celles à venir. Mais ne nous leurrons pas : les politiques monétaires de la Banque du Canada, tel qu’elles sont déployées en ce moment, vont dans le sens du capital. 

La Banque du Canada veut ramener l’inflation à 2 %, et ce, peu importe le coût économique et social. Nous devons rester vigilants et remettre en question la gouvernance de la Banque du Canada. Il est crucial d’instaurer des mécanismes de reddition de comptes pour s’assurer que ses actions servent véritablement les intérêts des travailleuses et travailleurs.