Reconstruire la confiance : un défi pour nos institutions démocratiques
27 juin 2024
Par sa nature et ses orientations, la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) accorde une grande importance à l’objectif d’en arriver à une société démocratique tournée vers le bien commun. La condition même de l’existence d’une telle société repose sur un niveau élevé de confiance envers les institutions. Que fait-on quand cette confiance est attaquée de tous les côtés?
Par Minh Nguyen, conseiller CSQ | Photos : Pascal Ratthé
Différents groupes et mouvements remettent en question la légitimité des institutions qui cimentent notre société et qui sont essentielles pour tendre vers le bien commun.
Professeure agrégée en information et communication publique à l’Université de Sherbrooke, Marie-Eve Carignan s’est penchée précisément sur cet enjeu. Elle en a fait une présentation détaillée lors de la grande conférence qui a eu lieu à l’occasion de la première journée du Congrès de la CSQ.
Les résultats de son analyse, bien qu’inquiétants, ont permis de bien outiller les personnes déléguées, qui auront à réfléchir à cet enjeu dans le cadre du Congrès. Elles auront à discuter de solutions pour lutter contre l’érosion de la confiance envers les différentes institutions de notre société.
Confiance et institutions, de quoi parle-t-on?
Selon Marie-Eve Carignan, la confiance institutionnelle se réfère à la foi que les citoyennes et citoyens possèdent envers les structures et les systèmes qui régissent la société, comme le gouvernement, les médias, le système judiciaire, les services publics et même les organisations syndicales. Cette forme de confiance est nécessaire pour la stabilité sociale et politique. Une société où la population fait confiance aux institutions est plus susceptible d’être stable, prospère et démocratique. En revanche, une perte de confiance peut mener à l’instabilité, au populisme et à l’autoritarisme.
La confiance institutionnelle et un monde en crise
Les répercussions de la crise de confiance actuelle sont importantes, d’après Marie-Eve Carignan. La pandémie ainsi que les crises climatiques et géopolitiques ont profondément ébranlé notre rapport aux institutions. Chaque crise accentue cette déstabilisation menant à une perte de confiance croissante. Les crises économiques et climatiques ainsi que les tensions géopolitiques ont exacerbé cette méfiance, menant à la radicalisation.
Cependant, le ressentiment dû aux inégalités est aussi un facteur à ne pas négliger lorsque nous parlons de perte de confiance. « La santé financière des personnes constitue aussi un facteur important qui teinte la confiance des gens : si un citoyen n’a pas une bonne santé financière, sa colère peut être dirigée vers les institutions par des mouvements populistes », a-t-elle dit.
Cela étant, la crise de confiance ne se limite pas qu’aux institutions politiques. Elle touche également les médias, les organisations syndicales et les services publics, comme les secteurs de l’éducation et de la santé. « La confiance que portent les gens envers l’éducation est en déclin, le secteur étant perçu par certains comme trop “woke” », souligne Marie-Eve Carignan. Ce niveau de confiance se retrouve sous celui que possèdent les citoyennes et citoyens envers les corps policiers.
Manque de confiance et manque de compréhension?
D’après Marie-Eve Carignan, le manque de confiance provient souvent d’un manque de compréhension des règles et des normes. Par exemple, « la perte de confiance envers la science vient souvent du fait que des études scientifiques arrivent à différentes conclusions, ce qui est exactement ce que la science doit faire », explique-t-elle. La méthode scientifique évolue grâce à des débats.
Par ailleurs, la confiance envers les institutions politiques est souvent influencée par nos préférences politiques. Si le parti politique que nous préférons est au pouvoir, nous avons tendance à être moins méfiants envers le politique. Cela étant dit, dans une ère où la polarisation est accentuée, la méfiance envers l’institution politique s’accentue aussi.
Conséquences et solutions
Les conséquences de cette perte de confiance sont nombreuses et préoccupantes : une participation moindre à la vie politique, une résilience démocratique réduite, des tensions accrues, etc. Le fait que la population soit désemparée ouvre la voie au populisme et à des visions simplistes, dichotomiques, dans lesquelles il y a les bons et il y a les méchants.
Devant ces constats, Marie-Eve Carignan propose plusieurs pistes de solutions pour rétablir la confiance. Elle met de l’avant l’importance de la transparence et de la reddition de comptes. Les institutions doivent être transparentes dans leurs actions et décisions pour regagner la confiance du public. L’implication citoyenne est également cruciale. Plus les citoyennes et les citoyens sont impliqués, plus ils ont confiance dans les services publics. Améliorer la communication et les relations publiques est une autre stratégie clé pour renforcer la confiance. Il est aussi essentiel d’éduquer le public sur les médias et de sensibiliser la population aux sciences et aux tactiques de désinformation.
Le syndicalisme et le rétablissement de la confiance
Quant au mouvement syndical, Marie-Eve Carignan souligne que « les études sur l’érosion de l’adhésion syndicale révèlent que celle-ci est souvent une réponse à une perte de confiance en raison de mauvaises conditions de travail, d’un manque de latitude professionnelle et d’un manque de soutien social ».
Lorsque les travailleuses et travailleurs se sentent démunis et mal représentés, ces personnes se tournent vers les syndicats afin de défendre leurs droits et d’améliorer leur situation. Le mouvement syndical joue alors un rôle important dans le rétablissement de la confiance du public en agissant comme médiateur entre les travailleuses et travailleurs et les employeurs en plaidant pour des conditions de travail équitables et en offrant un soutien collectif.
Cette dynamique renforce non seulement la confiance des travailleuses et travailleurs en leurs capacités à obtenir des changements positifs, mais contribue aussi à restaurer la confiance générale dans les institutions qui sont censées protéger et promouvoir le bien-être des citoyennes et citoyens.
Marie-Eve Carignan souligne que les risques liés à l’érosion de la confiance envers les institutions démocratiques sont sérieux. Cette érosion menace non seulement la légitimité de la démocratie, mais aussi l’équilibre de la société québécoise. Cependant, Marie-Eve Carignan propose également des outils et des stratégies pour combattre cette érosion et restaurer la confiance nécessaire au bon fonctionnement de la société.
Les thèses qu’elle a présentées offrent à la CSQ une occasion de réfléchir profondément à ces questions et de développer des actions concrètes pour renforcer la confiance en nos institutions. Dans un monde où le complotisme, l’extrême droite et le masculinisme cherchent à mobiliser les gens en jouant avec leur sentiment de désespoir, il est de notre devoir, en tant que membres actifs de la société, de prendre ces enjeux au sérieux et de travailler ensemble pour restaurer et maintenir la confiance. Ce défi, la CSQ est capable d’y faire face, et y œuvrera activement.