Syndicalisme

Projet de loi 89: «Une rupture de l’équilibre des relations de travail»

19 février 2025

Le projet de loi no 89 visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out déposé par le ministre du Travail, Jean Boulet, le 19 février, fait réagir la CSQ. La Centrale y voit une atteinte au rapport de force des travailleuses et des travailleurs et des organisations syndicales qui les représentent.

Par Maude Messier, conseillère CSQ

« Pour nous, il est clair que ce projet de loi induit une rupture dans l’équilibre des relations de travail acquis chèrement à coup de luttes syndicales, notamment devant les tribunaux, au cours des dernières années. Et c’est impossible de ne pas y voir un lien avec les dernières négociations du secteur public »,  dit le président de la CSQ, Éric Gingras. Il précise aussi que, dans le contexte politique, économique et social actuel, le gouvernement, les employeurs et les organisations syndicales auront besoin de travailler ensemble et non pas l’inverse.

« Ce projet de loi n’était vraiment pas nécessaire. Le gouvernement change les règles du jeu parce qu’il n’a pas aimé comment s’est déroulée la dernière négociation du secteur public ni l’issue de celle-ci. Or, ces règles lui allaient pourtant très bien alors que, pendant des dizaines d’années, elles lui ont été favorables. J’insiste : tout ce qui nous a amenés à cette mobilisation et à ce règlement était légitime, et d’ailleurs soutenu par la population. C’est un mouvement unique qui ne s’était pas vu depuis plus de 40 ans », déplore Éric Gingras, tout en rappelant qu’un projet de loi visant à « moderniser » les relations de travail dans les secteurs public et parapublic est également attendu cet hiver.

Si la Centrale voit d’un bon œil que ce soit au Tribunal administratif du travail (TAT), et non pas directement au ministre, que revienne la responsabilité de se pencher sur quels services devront être maintenus, elle souligne que différents éléments du projet de loi seront analysés dans les prochains jours.

« Sur la nouvelle notion de services à maintenir, il faudra voir, par exemple, comment les critères sont établis, comment ils seront interprétés et quels services seront ciblés. Tout est dans les détails et dans l’application subséquente. Sur le fond des choses, au-delà des récriminations et du mécontentement que peuvent générer les conflits de travail, il n’en demeure pas moins que cet élément du projet de loi, peu importe son libellé, limite le droit de grève », explique Éric Gingras.

Par ailleurs, il est nécessaire de rappeler que, depuis l’adoption du Code du travail en 1964, qui a octroyé le droit de grève dans les services publics, les services essentiels ont toujours été centrés sur la santé et la sécurité de la population. Le glissement de cette notion sur le « bien-être » de la population nous apparaît excessivement large et risque d’entraver sérieusement le droit de grève, qui est pourtant considéré par les tribunaux comme un droit fondamental.

Nonobstant le fait que le secteur public ne sera pas touché par le nouveau mécanisme alternatif mis en place par ce projet de loi, la CSQ insiste sur le fait que c’est tout l’écosystème des négociations collectives qui sera affecté par ces changements. « Nous sommes déçus que le ministre du Travail ait tout de même choisi de jouer dans ce jeu-là », de conclure son président.

Ce qu’il faut savoir sur le projet de loi no 89 

Le projet de loi introduit trois nouveaux éléments au Code du travail :

  • Le maintien de « services assurant le bien-être de la population » pour éviter que ne soit affectée de manière disproportionnée la sécurité sociale, économique ou environnementale de la population, notamment celle des personnes en situation de vulnérabilité.

Plusieurs de ces concepts restent à définir. En d’autres mots, à tout moment durant la phase de négociation, le gouvernement pourra désigner par décret une association accréditée ou un employeur afin que le TAT détermine si des « services assurant le bien-être de la population » devront être maintenus par cette association ou cet employeur désigné en cas de grève ou de lock-out. Ces nouvelles dispositions visent donc l’ensemble des associations syndicales dans les réseaux scolaire et collégial assujetties à la Loi 37, ainsi qu’à celles hors loi 37. Elles ne s’appliquent toutefois pas à un ministère ou à un organisme dont le personnel est nommé en vertu la loi sur la Fonction publique et aux établissements du réseau de la santé, où la notion de « services essentiels » est déjà en vigueur.

  • Un pouvoir spécial au ministre du Travail de suspendre une grève ou un lock-out et de transmettre le différend à un arbitre s’il estime que le conflit de travail cause ou menace de causer un préjudice grave ou irréparable à la population, et ce, après qu’un conciliateur, ou un médiateur soit intervenu pour tenter de régler le différend.

Le ministre s’inspire ici du pouvoir prévu à l’article 107 du Code canadien du travail, actuellement en contestation devant les tribunaux, et qui constitue un moyen de mettre fin à un conflit de travail alors que la Cour Suprême a reconnu que la grève est un droit constitutionnel.

Ce mécanisme ne s’applique pas aux négociations encadrées par le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs publics et parapublics (Loi 37), le gouvernement ne souhaitant évidemment pas qu’un tiers viennent décider de l’issue des négociations qu’il conduit avec ses employés.

  • L’obligation pour un employeur d’un service public, tel qu’entendu au sens du Code du travail, de faire parvenir un avis préalable de sept jours ouvrables francs avant de pouvoir déclencher un lock-out.

Au sens prévu aux articles du Code du travail, un service public comprend notamment, une municipalité et une régie intermunicipale, une entreprise de transport terrestre à itinéraire asservi tels un chemin de fer et un métro, et une entreprise de transport par autobus ou par bateau, etc.

Dans les médias

Écoutez Éric Gingras à Lagacé le matin sur les ondes du 98,5 FM.

Écoutez également le président de la CSQ à l’émission Trudeau-Landry au FM93.