Enseignement supérieur
Profession extraordinaire, conditions précaires
17 juillet 2023
Professionnelle de recherche a été le métier coup de cœur de Valérie Guay dès son stage à l’Université Laval. Même si elle « adore son milieu de travail », qu’elle trouve « extraordinaire », ses conditions de travail la poussent parfois à reconsidérer son choix de carrière.
Coordonnatrice de projets de recherche, professionnelle de recherche et nutritionniste à l’Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels (INAF) et à la Faculté de pharmacie de l’Université Laval, Valérie Guay est employée par les chercheuses et chercheurs pour coordonner les projets cliniques.
« Un bon chercheur a un bon professionnel de recherche, car c’est cette personne qui lui permet de faire son travail de recherche, explique la jeune femme. Pendant que le chercheur se consacre à l’enseignement et aux demandes de subventions, son labo continue de fonctionner. »
Elle rappelle d’ailleurs en rigolant que, lors de la dernière grève des professeures et professeurs de l’Université Laval, « les projets de recherche en cours se poursuivaient comme si de rien n’était » grâce aux personnels professionnels de recherche, notamment.
« Sans mes professionnels de recherche, mon laboratoire serait à reconstruire à chaque graduation et à chaque nouveau projet : ce sont les professionnelles et professionnels qui sont la mémoire du laboratoire, qui assurent la cohésion entre les membres et qui garantissent la qualité de la recherche au quotidien », a d’ailleurs tenu à expliquer Frédéric Maps, professeur titulaire du Département de biologie et directeur du Centre de recherche Québec-Océan, dans le cadre des négociations du Syndicat des professionnelles et professionnels de recherche de l’Université Laval – unité campus (SPPRUL-CSQ).
Professeure, enseignante et médecin dans un seul métier
Au quotidien, Valérie Guay travaille sur des projets de recherche qui visent à comprendre l’effet de l’alimentation sur des pathologies telles que des maladies cardiovasculaires.
Elle s’assure de l’éthique du projet clinique, elle gère le budget et les plateformes Web destinées aux personnes participantes, planifie les rencontres avec ces dernières, assure la coordination des tests, la saisie et la conservation sécuritaire des données ainsi que l’encadrement des étudiantes et étudiants. Bref, elle mène les projets de recherche à terme.
« Pendant mes études, je m’étais vue comme professeure, enseignante au secondaire, médecin, énumère la coordonnatrice. Être professionnelle de recherche, c’est comme rallier tous ces champs d’intérêt dans un seul métier! »
Présentement, la jeune femme travaille sur un projet d’intervention nutritionnelle entièrement contrôlé. Pendant deux périodes de quatre semaines, son équipe fournit tous les repas aux personnes participantes. La moitié du temps, les gens reçoivent des repas « ordinaires », comme ce que monsieur et madame Tout-le-Monde consomment, et l’autre moitié, des repas qui reflètent les recommandations du Guide alimentaire canadien. Le but du projet de recherche est de vérifier l’effet de ces régimes alimentaires sur des gens qui sont à très haut risque de développer une maladie cardiovasculaire.
« Ce que j’aime de mon emploi, c’est la proximité avec les étudiants, c’est de toujours apprendre, de me renouveler et de mieux comprendre ce sur quoi je travaille, explique Valérie Guay. C’est énormément de gestion et de défis, mais il n’y a pas de routine. C’est excessivement exigeant, et moi j’aime ça! »
Le travail parfait, sauf que…
C’est un travail stimulant, certes, mais il y a un « mais ». Le personnel professionnel de recherche a un statut précaire. Même si ces personnes font partie des employés de l’Université, celle-ci ne débourse pas en salaire pour ces travailleuses et ces travailleurs et n’assume aucune responsabilité quant à leurs contrats, qui ne durent bien souvent que quelques mois.
« À coups de contrats de deux mois, tu ne prévois pas t’acheter de maison!, déplore Valérie Guay. Nous sommes toujours précaires, alors nous sommes dociles et tellement reconnaissants d’avoir un autre contrat de deux mois. On n’ose rien dire. »
Quant au salaire, ce sont les subventions que les chercheuses et chercheurs reçoivent qui permettent de payer le personnel professionnel de recherche.
Même si elle détient une maîtrise, Valérie Guay gagne moins que la technicienne du labo avec qui elle travaille. « Je supervise son travail, je lui explique quoi faire, elle n’a pas les mêmes responsabilités que moi », explique-t-elle.
En fait, les professionnelles et professionnels de recherche de l’Université Laval sont les moins bien payés au Québec. Le SPPRUL-CSQ est d’ailleurs en période de négociation auprès de leur employeur. Il est en quête d’une plus grande reconnaissance du travail de ces personnes et de meilleures conditions salariales et de travail qui donneront aux professionnelles et professionnels le goût de rester.
« On a un milieu parfait, mais il faut être capable de payer la main-d’œuvre, souligne Valérie Guay. Il y aura une perte d’expertise majeure si on n’offre pas rapidement de meilleures conditions. »
Et pourtant!
Dans un sondage récent, 97 % des étudiantes et étudiants sondés ont mentionné que les professionnelles et professionnels de recherche sont les personnes qui les motivent le plus à poursuivre leurs études supérieures. Alors que les universités peinent à diplômer leurs étudiantes et étudiants, très tôt courtisés par le marché du travail, cette valeur ajoutée n’est pas à négliger.
En ce moment même, des projets de recherche déjà subventionnés ne peuvent démarrer faute de personnel qualifié comme Valérie Guay. Et d’autres projets pourraient être mis sur pause si la négociation du SPPRUL-CSQ avec l’Université ne porte pas ses fruits.
« S’il n’y a pas de gros changements, je ne pense pas que je vais rester, et c’est le cas de 80 % de mes collègues, avoue la jeune femme. Si tout le monde part pour vrai, je pense que l’Université subirait une dégringolade majeure dans les rangs en recherche au Canada. » Rappelons que l’Université Laval figure présentement au 6e rang des universités en recherche au Canada.
> Apprenez-en plus sur les négociations du SPPRUL-CSQ présentement en cours.
Photo: Pascal Ratthé