Société
Logements sociaux et abordables : un rempart contre la crise actuelle
27 novembre 2024
Pour sortir de la crise, il faudrait soustraire du marché spéculatif un logement sur cinq, estiment plusieurs organismes communautaires, dont l’Alliance des corporations d’habitations abordables du territoire du Québec (ACHAT). Son directeur général, Sébastien Parent-Durand, et le conseiller à la recherche socio-économique à la CSQ, Minh Nguyen, ont discuté des causes et des solutions dans le cadre du balado Prendre les devants diffusé le 14 novembre dernier.
Par Anne-Marie Tremblay, collaboration spéciale
« La crise du logement actuelle diffère des précédentes, puisqu’elle est structurelle », a précisé d’emblée Minh Nguyen. Depuis la pandémie, la baisse – puis la hausse – des taux d’intérêt ont eu pour effet d’augmenter le prix des maisons, ce qui s’est répercuté sur le coût des loyers. Cette augmentation du taux directeur a aussi freiné la construction résidentielle, y compris celle de logements sociaux et sans but lucratif.
Résultat : un taux d’inoccupation de 1,7 %, soit un taux bien en deçà du seuil de 3 % considéré comme le point d’équilibre du marché, a noté le conseiller. « Entre 2018 et 2022, les loyers ont fait un bond de 25 % en moyenne au Québec, une augmentation encore plus importante dans certains endroits, comme Montréal », a-t-il précisé. Si bien qu’aujourd’hui, les ménages consacrent désormais une part de plus en plus grande de leurs revenus, de 40 %, 50 %, et parfois même 70 %, pour se loger, a renchéri Sébastien Parent-Durand.
« Pour la première fois, le contrat générationnel est brisé en habitation, a ajouté le directeur général d’ACHAT. Les plus vulnérables écopent toujours quand il y a des crises du logement, mais cette fois-ci, pour la première fois, la classe moyenne, et même la classe moyenne élevée, a du mal à trouver un logement près de son lieu de travail. » Cette situation n’affecte pas que les grands centres, elle touche tout le Québec. Si on ne veut pas revivre la même crise tous les 25 ans, Sébastien Parent-Durand affirme qu’il faut agir maintenant, avec des mesures structurantes.
Selon le président d’ACHAT, la solution passe par un parc immobilier à but non lucratif plus important : « Il faut augmenter le nombre absolu de logements sociaux et abordables détenus par des organisations sans but lucratif, dont l’abordabilité est garantie à vie. Arrêtons de marginaliser ce modèle, de ne lui offrir que des miettes en ajoutant quelques logements sociaux ici et là. »
Pour cela, il suggère de s’inspirer de pays comme la France, l’Angleterre, le Danemark ou l’Autriche, qui mutualisent leurs efforts pour augmenter le nombre de constructions de logements sociaux chaque année. « Ces pays développent des milliers de logements sociaux par année, avec les mêmes montants de la part de l’État qu’ici. Ça ne prend donc pas nécessairement plus de subventions, mais avec les mêmes montants, on pourrait en faire plus si nos organisations se structuraient autour de stratégies de volume. »
Sébastien Parent-Durand cite en exemple l’Autriche, un pays à la démographie semblable à celle du Québec, qui construit autour de 17 000 logements à but non lucratif chaque année. Ici, ce chiffre tourne plutôt autour de 2 000. « C’est un des pays qui subventionnent le moins le logement social, mais ils se sont tournés autour de grands développeurs générant des revenus autonomes, donc qui utilisent leurs actifs comme levier de financement complémentaire à ceux de l’État. Le message, ce n’est pas que l’État se désinvestisse, au contraire, mais c’est de maximiser l’impact de chaque dollar public. »
Il n’y a aucune raison pour que l’économie sociale se prive des stratégies financières utilisées par le privé pour le développement du logement locatif, a poursuivi le directeur général d’ACHAT : « La différence, c’est qu’on place l’humain, et non le profit, au cœur de notre modèle d’affaires. L’objectif est d’engranger des profits sociaux, plutôt que financiers. Donc, on est rentables financièrement et payants socialement. » Il suggère aussi de travailler de concert avec les trois paliers de gouvernements pour utiliser tous les leviers possibles, qu’ils soient financiers, réglementaires ou législatifs.
Unir ses forces
Selon Sébastien Parent-Durand, il est possible de s’inspirer de ces pratiques pour créer un modèle adapté à la réalité du Québec. C’est d’ailleurs ce que prône l’organisme ACHAT, qui tente d’unir les forces en économie sociale autour de cet enjeu. « Il faut se rassembler, se serrer les coudes, mettre en commun nos stratégies de développement, partager nos bons et nos moins bons coups, pour éviter que d’autres les répètent, puis essayer de développer un très grand nombre de logements à but non lucratif partout sur le territoire du Québec. »
Au final, ACHAT plaide pour que 20 % des logements du marché soient à but non lucratif, précise son directeur général, ce qui constituerait un legs pour les générations futures. « Nous avons un devoir de s’occuper de ces questions et de leur offrir un parc de logements qui sera abordable à perpétuité. »
*Pour faciliter la compréhension, les propos ont été édités.
Pour en savoir plus
L’ensemble de la discussion est disponible en ligne dans le troisième épisode de la saison 3 du balado Prendre les devants.