Société

Élections américaines : quelles répercussions sur l’économie du Québec ?

25 octobre 2024

L’économie du Québec est fortement dépendante de celle des États-Unis. Les politiques économiques, qui seront mises en place par la future présidence américaine, entraineront donc des répercussions directes sur la vie des Québécoises et Québécois. Tour d’horizon des enjeux qui entourent les élections américaines du 5 novembre 2024. 

Par Pierre-Antoine Harvey et Minh Nguyen, conseillers CSQ 

Malgré des efforts historiques pour étendre une intégration économique « d’un océan à l’autre », l’axe Nord-Sud détermine encore fortement la santé économique du Québec et celle du Canada. Depuis le 19e siècle, le Québec se développe sous le contrôle des investisseurs étatsuniens. Aujourd’hui, plus de 55 % des multinationales présentes ici et ailleurs au Canada, et 70 % des investissements directs étrangers proviennent des États-Unis.

L’économie du Québec repose largement sur le commerce extérieur, avec 60 % de sa production vendue à l’étranger. Parmi ces exportations, 44 % ont pour destination les États-Unis, ce qui est plus que l’ensemble des provinces canadienne (40 %) et bien au-dessus des autres partenaires internationaux, comme l’Europe, la Chine et le Mexique.

 

Le Québec exporte principalement des matériaux bruts vers les États-Unis, comme l’aluminium, l’or, le cuivre, le bois et l’électricité. Pour ce qui est des importations, la provenance est plus diversifiée : seulement 22 % viennent des États-Unis.

Le plan de Trump

Le plan économique que Donald Trump propose pour un éventuel mandat manque de cohérence. Il semble davantage ancré dans une idéologie de nationalisme économique qu’axé sur la résolution de problèmes concrets, comme les changements climatiques, la lutte contre la pauvreté et la pénurie de logements abordables.

Une des mesures phares de son plan consiste à réduire à nouveau les impôts. Il propose de prolonger les dispositions du Tax Cuts and Jobs Act, même pour les ménages les plus riches, et de réduire le taux d’imposition des entreprises à 15 %. Cela entrainerait une perte de 1218 milliards de dollars pour les États-Unis d’ici 2035, une somme qui pourrait être utilisée pour financer des initiatives de lutte contre la pauvreté et de logements abordables.

Trump promet également des tarifs douaniers de 10 % sur toutes les importations et de jusqu’à 60 % sur celles venant de Chine, augmentant ainsi les couts pour les familles.

Enfin, il prévoit l’expulsion massive d’immigrantes et immigrants sans papiers, qui représentent environ 11 millions de personnes aux États-Unis, selon le Pew Research. Ils comptent également pour environ 10 % des travailleuses et travailleurs du secteur agroalimentaire.

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Les promesses d’Harris

Héritière d’un bilan démocrate négatif en termes d’inflation, la priorité affichée de Kamala Harris est de s’attaquer à l’explosion du cout de la vie.

  • Faire croitre les revenus

Harris compte maintenir les réductions d’impôts, accordées par Trump, pour les ménages qui gagnent moins de 400 000 dollars, et ajouter un crédit d’impôt pour les bas salariés allant jusqu’à 1 250 dollars. Elle propose de soutenir les parents en reconduisant l’allocation familiale supplémentaire de 3 600 dollars et en accordant un « boni bébé » de 6 000 dollars à la naissance de chaque enfant.

Pour aider les jeunes, elle promet d’éliminer certaines dettes étudiantes et d’augmenter les bourses universitaires. Rappelons que les dettes d’études représentent la deuxième source d’endettement des ménages aux États-Unis, après les hypothèques.

  • S’attaquer aux prix 

Harris s’engage à réduire les prix des biens essentiels. Pour alléger la facture d’épicerie, elle propose de renforcer les lois fédérales anticartel et de donner plus de mordant à l’agence responsable d’assurer une saine concurrence sur les marchés. Elle souhaite aussi investir pour soutenir les petits producteurs et les distributeurs alimentaires locaux. Elle continuera à réduire le cout des médicaments, accordera à toutes et tous l’accès à l’insuline à 35 dollars, mesure instaurée par Biden aux personnes ainées, et fixera à 2 000 dollars par mois les franchises personnelles pour les médicaments.

Du côté du logement, elle propose une subvention 25 000 dollars pour les premiers acheteurs. Afin de lancer le « plus grand chantier de construction depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale », Harris promet d’accorder des crédits de taxes aux entrepreneurs et d’investir 40 milliards de dollars dans des projets.

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  • Augmenter les impôts des plus riches et des entreprises 

Afin de financer ces initiatives, Kamala Harris souhaite rétablir une plus grande progressivité de l’impôt fédéral. Elle promet d’augmenter les impôts pour celles et ceux qui gagnent 400 000 dollars et plus, notamment en imposant un impôt minimum aux milliardaires. Pour les entreprises, elle propose de relever l’imposition sur les profits à 28 %. En contrepartie, Harris souhaite encourager la création d’entreprises en accordant un crédit d’impôt de 50 000 dollars pour leur première année d’opération.

  • Mieux contrôler l’immigration 

En matière d’immigration, ses engagements s’inscrivent dans la continuité des annonces de Biden : mieux contrôler l’immigration en recrutant plus d’agentes et agents de frontière, mais aussi plus de juges et d’agentes et agents d’immigration afin de traiter plus rapidement les dossiers des personnes réfugiées.

  • Maintenir un protectionnisme mesuré 

Bien que les démocrates ne versent pas dans le protectionnisme simple de Trump, ils ont adopté plusieurs mesures afin de réduire la concurrence internationale. Biden a maintenu plusieurs tarifs imposés par Trump. En mai dernier, il a instauré des tarifs de 25 à 100 % sur les voitures électriques, les batteries, les panneaux solaires et plusieurs matériaux critiques pour l’électrification des transports en provenance de Chine. Harris ne semble pas se détacher de cette approche.

Une élection importante pour l’économie du Québec

Bien que spectateurs du processus électoral américains, les Québécoises et Québécois savent que son résultat entrainera des conséquences profondes sur leur avenir politique, social, culturel et surtout économique. Le retour potentiel de Trump aux commandes représente, selon nos analyses, un risque majeur pour l’économie du Québec. Ses promesses d’imposer des tarifs douaniers généralisés pourraient engendrer une réduction de 2,5 % de nos exportations vers le Sud, sachant que près de la moitié de celles-ci se dirigent vers les États-Unis.

Le protectionnisme pourrait aussi inciter des multinationales étatsuniennes à rapatrier certaines de leurs activités, provocant des pertes d’emplois ici. D’autres pays, y compris le Canada, pourraient riposter en imposant eux aussi des tarifs, augmentant ainsi le prix des importations pour les consommatrices et consommateurs du Québec.

Bien que les démocrates de Harris demeurent relativement protectionnistes, leurs plans pour la construction de logements et la décarbonation des États-Unis pourraient stimuler les exportations québécoises, notamment du bois d’œuvre, de minéraux critiques, de l’électrification des transports et de l’électricité.

Le choix de nos voisins aura d’autres conséquences indirectes. Bien que les politiques fiscales soient indépendantes, elles s’influencent mutuellement en raison de la concurrence économique. Ainsi, l’élection de Trump pourrait exercer une pression pour réduire la progressivité du régime fiscal québécois, particulièrement pour les entreprises. Dans un contexte où les besoins en services publics augmentent, il apparait risqué de réduire la capacité du gouvernement de les financer.

Enfin, la fermeture des frontières et l’expulsion de travailleuses et travailleurs sans papiers des États-Unis, telles que proposées par Trump, exerceraient une pression sur le Québec et sur le Canada pour accueillir davantage de personnes.

Quel que soit le résultat, nous ne pouvons qu’espérer que les deux parties acceptent la décision démocratique. Car une contestation politique et juridique, telle qu’on l’a connue en 2020, risquerait cette fois d’entrainer une crise sociale et politique encore plus profonde, qui viendrait ébranler socialement et économiquement notre gigantesque voisin et partenaire.