Action féministe, Environnement

Écoféminisme : la force des femmes pour attaquer le mal à la racine

14 avril 2025

L’écoféminisme refuse de choisir entre justice sociale et environnementale : il les lie, il les brandit. Porté par des femmes qui soignent, enseignent, militent et résistent, il s’attaque aux racines des crises en transformant colère et soin en actes de résistance. Parce qu’on ne sauvera pas le monde sans celles qui, chaque jour, le tiennent debout.

Par Félix Cauchy-Charest, conseiller CSQ

Je suis assis dans une salle où ça sent le café tiède et la volonté farouche de ne pas sombrer dans le désespoir. Sur la scène, Laurie Gagnon-Bouchard, politologue spécialisée sur les enjeux de socioécologie et d’écologie politique, rappelle qu’en temps de crise, ce sont les femmes qui sont sur les lignes de front.

Ce jour-là, au réseau conjoint de l’action féministe et du Mouvement ACTES, on ne fait pas que parler de féminisme et d’écologie : on déterre une vérité crue, enterrée sous des couches de rapports gouvernementaux et d’études. Une vérité qui pue l’arsenic, la poussière minière et la résignation, qui dit que ce sont les femmes – encore – qui ramassent les morceaux d’un monde en décomposition. Elles le font, sans tambour ni trompette, en militant, en enseignant, en prenant soin, en agissant, parce que personne d’autre ne le fera à leur place.

Fabriquer de l’espoir à la petite cuillère

Vous croyez que les établissements scolaires sont juste des usines à bulletins? Détrompez-vous. Grâce au Mouvement ACTES de la CSQ, des femmes – beaucoup de femmes – transforment les écoles en petits laboratoires de transition. Jardins, ateliers zéro déchets, projets écolos : ça grouille d’idées. Ce n’est peut-être pas grand-chose, mais c’est précisément ce « pas grand-chose » qui empêche le monde de s’écrouler plus vite et qui crée les brèches par où les révolutions peuvent pousser.

Lors de sa conférence présentée à près de 200 militantes et militants, Laurie Gagnon-Bouchard rappelle avec brio que ces gestes du quotidien sont politiques. Ils ont une portée bien plus grande qu’un vote tous les quatre ans ou un « j’aime » sur une pétition Facebook. Ces gestes, ce sont des actes de résistance, d’amour lucide et de soin. Et ce soin, les écoféministes le brandissent comme arme massive de reconstruction en arrêtant de l’invisibiliser comme le voudrait le modèle capitaliste.

Le care, ou l’art de s’occuper du monde quand il brûle

C’est peut-être ça, l’arme secrète de la guerre qu’on mène à l’apathie face à la crise climatique : ce foutu care. Oui, comme dans « le prendre soin et l’accompagnement », mais aussi comme dans « se soucier ». Des femmes – mères, éducatrices, militantes, infirmières, enseignantes – socialisées à plier sans casser, à prendre soin sans (trop) se plaindre, à porter le monde sur leurs épaules sans jamais s’asseoir pour pleurer. Ce sont elles qui sentent le danger venir, qui changent les habitudes de consommation, qui s’organisent quand les enfants tombent malades à cause des métaux lourds dans l’air. Ce sont les femmes qui savent, sans qu’on leur dise, que les catastrophes sont rarement naturelles.

Vous vous souvenez de Rachel Carson, cette biologiste qui a osé dire en 1962 que les pesticides allaient tuer tout ce qui chante? Celle qui, avec son livre Silent Spring, a éveillé les consciences et élevé le débat? Les puissants l’ont traitée d’hystérique, de lesbienne, de naïve. Et puis on l’a écoutée… Trop tard, mais on l’a écoutée, comme toutes ces femmes avant et après elle qui tirent la sonnette d’alarme pendant que nos gouvernements déroulent le tapis rouge aux fossoyeurs de la nature.

Le vrai courage, c’est de crier quand on vous dit de vous taire

Rouyn-Noranda, arsenic dans l’air, enfants contaminés, Mères au front. Tout cela vous dit quelque chose? Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est à quel point les femmes deviennent des guerrières du détail. Elles lisent des rapports techniques comme d’autres lisent des romans. Elles traquent les contradictions, posent les bonnes questions, mettent les élus dans le coin. Et tout ça, elles le font avec une colère contenue qui provient de leur tendresse infinie pour leurs enfants et leur communauté.

Dans le récit écoféministe, le héros, ce n’est pas un sauveur tombé du ciel, mais une femme debout, qui agit à sa mesure et avec ce qu’elle a sous la main. Parfois, c’est avec une affiche dans une manifestation, d’autres fois, avec un micro dans une réunion publique pour dire « Non, ça ne passe pas! »

Et si le syndicalisme, c’était ça, l’avant-garde de l’écologie politique?

Dans les récits de transition écologique, on parle peu des syndicats. Pourtant, au Québec, la CSQ (avec son Mouvement ACTES) trace une autre voie qui fait des liens entre les conditions de travail, le climat, le prendre soin et l’accompagnement, et les inégalités. Cette voie, c’est celle où la justice environnementale devient une extension naturelle du combat syndical, où on comprend que lutter pour un air respirable, c’est aussi lutter pour une éducation digne, des services publics solides et des communautés vivantes.

Les syndicats, ce sont des lieux de transformation qui offrent des espaces où il est possible de créer ensemble. Ce sont des incubateurs de résistances durables.

Le monde ne va pas s’effondrer tout seul, il a besoin d’un coup de main

Alors, qu’est-ce qu’on fait avec tout ça? On pleure un bon coup, on recycle davantage? La colère et le découragement sont valides, mais pour y faire face, il faut agir à sa mesure, là où on se trouve : dans sa classe, dans son syndicat, dans son quartier.

Il faut parler à ses collègues, créer des mouvements collectifs, soutenir Mères au front, militer pour des programmes d’approvisionnement en circuit court, acheter local ou seconde main, faire du covoiturage, etc. Bref, il ne faut pas que critiquer le capitalisme, il faut le contourner et préparer la suite. Écoutons les écoféministes, pas comme des prophètes, mais comme des guides pratiques de survie affective et politique.

Et surtout, rappelons-nous que ce monde, même fracturé, mérite encore que nous nous battions pour lui. Pas avec des armes, mais avec de la solidarité, du soin et de l’organisation.

La transition écologique ne doit pas se faire au prix de notre santé, de notre dignité ou de nos enfants, car il y a des choses trop précieuses pour être marchandisées. Ce monde ne tient pas grâce aux puissants, mais grâce à toutes celles – et tous ceux – qui, chaque jour, décident de ne pas baisser les bras.

Et vous, quel soin portez-vous au monde?