Société

Destination austérité : il n’est pas trop tard pour changer de trajectoire

12 décembre 2024

À l’horizon, un précipice se dessine avec davantage de clarté. Depuis quelques mois, des annonces répétées confirment une destination inquiétante : l’austérité. Il est toutefois encore possible de changer de cap. 

Par Pierre-Antoine Harvey, conseiller CSQ

Dans sa mise à jour économique du 21 novembre 2024, le chef de train des finances publiques du Québec, le ministre Eric Girard, a laissé poindre quelques signes annonciateurs d’un retour à l’austérité. Cette décision, qui n’est aucunement justifiée par une détérioration majeure de l’économie québécoise, relève plutôt d’un choix politique.

Le pire pour demain 

Les données de la mise à jour économique sont rassurantes à court terme : le déficit pour 2024-2025 demeure comme prévu à 11 milliards $, ou 8 milliards $ si l’on exclut le versement au Fonds des générations et la réserve pour éventualités.

Les revenus dépassent les prévisions, grâce notamment à des transferts fédéraux (750 millions $ pour l’accueil des demandeuses et demandeurs d’asile et 1 milliard $ liés à la hausse du taux d’inclusion des gains en capital). Les dépenses, quant à elles, augmentent pour répondre aux besoins croissants, pour soutenir les victimes d’inondations (250 millions $) et pour compenser le retard de l’élimination de la main-d’œuvre indépendante en santé (500 millions $). Le gouvernement n’utilise que la moitié de son coussin, gardant une réserve de 750 millions $ en cas de détérioration économique. Par ailleurs, le niveau d’endettement prévu pour la fin de l’année passe de 40,3 % à 39 % du produit intérieur brut (PIB).

La mise à jour économique laisse même place à quelques initiatives modestes, entre autres pour soutenir les sociétés de transport en commun et pour accélérer la construction de logements sociaux et abordables.

Coup de frein dans les dépenses de programme 

« Contrairement aux autres partis, il n’est pas question d’augmenter les impôts et les taxes des Québécois », a dit le premier ministre, François Legault. Niant la réalité d’une croissance des besoins dans les services publics, le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) met le cap sur l’austérité en préférant donner un coup de frein aux dépenses publiques plutôt que d’améliorer leur financement. En n’augmentant pas les impôts et les taxes, le gouvernement priorise la réduction de la place de l’État dans l’économie. Ce choix entrainera de graves conséquences.

Pour les 3 prochaines années, la mise à jour économique annonce une croissance des dépenses limitée à 2 %, un rythme qui couvre à peine l’inflation générale et qui ne laisse aucune marge pour absorber l’augmentation de la population et des besoins ni les augmentations de salaire. La hausse plus importante que prévu des dépenses en 2024-2025 devra être compensée par des compressions afin de se retrouver, en 2027-2028, au même niveau que celui prévu au budget de mars 2024. Compressions, coupes et privatisations seront les conséquences si rien n’est fait. 

Les quatre cavaliers de l’austérité

Si la mise à jour économique n’annonce pas de nouvelles mesures d’austérité pour l’année en cours, quatre décisions récentes donnent le ton pour l’avenir.

  1. Le gel d’embauche

Depuis le 1er novembre 2024, un gel d’embauche touche les ministères et certains réseaux, aggravant les lacunes dans les services publics. Il vise tous les emplois dans les ministères et cible le personnel de soutien et professionnel n’offrant pas de « services directs ». Réactivant la loi sur la gestion et le contrôle des effectifs de 2014, le gouvernement prétexte qu’il risque de dépasser sa cible de 7 800 nouveaux équivalents temps complet (ETC).

Cette stratégie, qui limite les embauches, ne reflète aucunement les besoins. Bien qu’un poste vacant puisse être pourvu par une personne déjà à l’emploi, il restera toujours une chaise vacante.

  1. La coupe des investissements en infrastructure

Les budgets d’investissement et d’entretien des cégeps et des écoles ont été rigoureusement limités, exacerbant le mauvais état des infrastructures.

C’est en plein cœur de la période estivale que le ministère de l’Enseignement supérieur informait les directions de cégeps que leur budget était coupé en deux. Alors qu’une majorité des cégeps avaient déjà engagé une bonne part des sommes allouées, plusieurs projets d’entretien et d’agrandissement ont dû être mis sur pause ou reportés indéfiniment.

En mai 2024, la vérificatrice générale du Québec dénonçait que 56 % des infrastructures des cégeps étaient en mauvais état et que les investissements annoncés ne couvraient que 50 % des besoins d’entretien. La détérioration des infrastructures réduit la capacité de certains établissements à offrir des services (exemple : la fermeture de l’auditorium au cégep de Lévis) et fait craindre pour la santé et la sécurité des membres de la communauté.

Le ministère défend sa décision, affirmant qu’aucun gouvernement n’a autant investi dans les cégeps. Or, un regard sur des données historiques nous révèle que les sommes allouées aux cégeps sont les mêmes qu’en 2012.

Le réseau scolaire s’est lui aussi vu amputer de moyens pour entretenir ses infrastructures, dont 61 % sont en mauvais ou en très mauvais état. Déjà, les règles budgétaires révélaient un manque à gagner de 400 millions $ pour l’entretien courant. En octobre 2024, des restrictions supplémentaires ont gelé l’achat de mobilier, d’appareillage et d’outillage.

Rappelons que le déficit de maintien des actifs dans le réseau scolaire est estimé à 8,4 milliards $ et à 764 millions $ dans les cégeps.

  1. Les coupes en francisation

De nouvelles règles limitent l’accès aux cours de francisation, laissant des milliers de personnes sans service.

Sur papier, le budget en francisation augmente légèrement, passant de 69 à 104 millions $ depuis 2019. En incluant Francisation Québec, le budget global est passé de 217 à 251 millions $ en 2024. Une règle administrative limite toutefois la capacité de dépenser cet argent et de répondre aux besoins et à l’intérêt croissants relativement aux cours de français. Le financement pour 2024-2025 est octroyé en fonction du nombre d’élèves équivalents temps plein (ETP) de 2020-2021 et de 2021-2022, années où l’immigration était bloquée et la demande faible à cause de la pandémie.

Les centres de services scolaires ayant déjà dépassé le nombre d’élèves ETP permis au printemps ont dû cesser d’offrir des cours à l’automne. Environ 200 enseignantes et enseignants à la formation aux adultes ont été mis à pied depuis la rentrée. Plusieurs milliers d’immigrantes et d’immigrants ont aussi vu leurs démarches de francisation interrompues.

Cette mesure fait suite à l’élimination de la compensation de 28 $ par jour pour les élèves en francisation à temps partiel afin d’économiser autour de 65 millions $, qui devaient être réinjectés dans les services.

  1. L’effacement des déficits en santé

Les établissements de santé doivent absorber des compressions représentant 4 % de leur budget, menaçant ainsi les services.

L’entrée en fonction de Geneviève Biron à la tête de Santé Québec commence péniblement avec l’envoi d’une consigne aux directions d’établissements : effacer les déficits prévus à l’aide de mesures administratives qui n’affecteront pas les services à la population.

Directions, élues et élus locaux, syndicats et comités d’usagers ont dénoncé les répercussions que ces compressions budgétaires auront sur les services. Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a reconnu qu’il y aura des réductions de services.

Le gouvernement explique chaque mesure comme une façon de reprendre le contrôle des dépenses publiques dans l’objectif d’une « saine gestion ». Certaines et certains pourraient y voir une préparation mentale à l’austérité programmée à partir de 2025.

Ce n’est pas l’économie !

La politique monétaire de la Banque du Canada visant à ralentir l’économie pour ramener l’inflation près de sa cible de 2 % semble porter ses fruits. Malgré cela, l’économie québécoise devrait enregistrer en 2024 une croissance légèrement supérieure aux attentes comme le montre le tableau II. Bien qu’elle ne se reflète pas dans la mise à jour économique, cette tendance pourrait entrainer une croissance plus marquée des revenus autonomes.

De manière concrète, le contexte économique entraine des répercussions positives et négatives pour la population. D’une part, l’inflation, qui avait atteint des sommets inquiétants après la pandémie, s’est stabilisée à des niveaux comparables à ceux observés avant la crise sanitaire. Cette stabilisation a poussé la Banque du Canada à assouplir sa politique monétaire, réduisant le taux directeur à 3,75 % après un pic de 5 % entre juillet 2023 et juin 2024.

D’autre part, le marché du travail montre des signes d’essoufflement. Le taux de chômage est grimpé à 5,9 % en novembre 2024, bien au-dessus du record de 4 % enregistré 1 an plus tôt, mais légèrement supérieur au niveau prépandémique de 5,1 %. Cette baisse de dynamisme est particulièrement marquée chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans et chez les hommes, dont les taux d’emploi sont passés respectivement de 63,9 % à 60,9 % et de 64,6 % à 63,4 % entre novembre 2023 et novembre 2024.

Cette perte de vigueur se reflète également dans la diminution du nombre de postes vacants. Au deuxième trimestre de 2024, le taux de postes vacants au Québec était de 3,5 %, bien loin du record de 6,4 % atteint en 2022, mais similaire à celui de 2019. Déjà, avant la pandémie, un taux de postes vacants de 3 % inquiétait les employeurs en raison de la pénurie de main-d’œuvre. Certains secteurs, comme la santé, l’hébergement et la restauration, continuent d’afficher des taux de postes vacants élevés, de 6,6 % et de 5,1 %.

En somme, bien que la lutte contre l’inflation ait ralenti l’élan de l’économie québécoise, ce ralentissement est, pour l’instant, insuffisant pour justifier le retour de l’austérité.

Choisir une autre destination

L’austérité annoncée n’est pas une fatalité. Le gouvernement pourrait réviser son régime fiscal pour récupérer le milliard de dollars accordé l’an dernier sous forme de cadeaux fiscaux, en augmentant la contribution des citoyennes et citoyens les plus fortunés et celle des entreprises. Peut-être que l’examen des quelque 308 dépenses fiscales, représentant près de 40 milliards $, prévu pour le budget 2025 devrait susciter l’espoir. La Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke a déjà identifié plusieurs centaines de millions de dollars en gains potentiels grâce à une simplification des mesures existantes.

En vue du prochain budget, la CSQ proposera des mesures pour améliorer la distribution de la richesse, freiner l’évasion fiscale et renforcer le financement des services publics.