Enseignement supérieur

ChatGPT force les professeurs à revoir leur mode d’évaluation

5 octobre 2023

Au cégep et à l’université, le plagiat est une faute qui doit être dénoncée par le personnel enseignant. Que faire quand on n’a aucune preuve? Avec ChatGPT, on n’est sûr de rien!

Par Florence Tison, conseillère CSQ

Le robot conversationnel ChatGPT rend le plagiat quasi indétectable grâce à l’intelligence artificielle (IA). « C’est arrivé comme une bombe l’année passée, soupire Édith Pouliot, professeure de sociologie au Cégep de Sainte-Foy. Les profs, on s’est mis à se poser beaucoup de questions quand on a constaté l’ampleur de ce que ça pouvait faire. »

Les résultats obtenus aux derniers examens par la toute dernière version du robot conversationnel, GPT-4, le classent parmi 10 % des meilleurs étudiants d’universités américaines, « dans des matières comme la chimie, la médecine et le droit », précise Louis-Philippe Paulet, professeur de comptabilité au Cégep Sorel-Tracy.

Il cite en exemple son collègue, le professeur de philosophie Jean-Sébastien Bélanger, qui, à la fin de la session d’automne 2022, a posé à ChatGPT une question de son examen. S’il avait été un étudiant, le robot conversationnel aurait obtenu « une excellente note », témoignait le professeur dans une lettre ouverte publiée dans La Presse.

« ChatGPT ne reproduit jamais deux fois le même texte »

Avant l’arrivée de l’intelligence artificielle, il était plus facile de prouver le plagiat. Une enseignante ou un enseignant qui constatait qu’un paragraphe détonnait avec l’ensemble du travail ou de l’examen d’une étudiante ou d’un étudiant pouvait copier-coller ce même paragraphe dans Google ou dans une base de données pour en connaitre la source.

Avec ChatGPT, c’est une tout autre paire de manches! Ce dernier peut générer un texte inédit sur un sujet donné en se basant sur l’information qu’il trouve sur Internet ou dont on l’a nourri. L’origine du texte ne peut être retracée. Difficile alors pour un professeur de prouver l’utilisation du robot conversationnel.

« ChatGPT ne reproduit jamais deux fois le même texte, souligne Édith Pouliot. Je ne peux rien prouver même si mon intuition me dit qu’on l’a utilisé. »

Peut-on soumettre un passage douteux à ChatGPT et lui demander s’il a généré le texte? Lui-même n’en sera jamais sûr à 100 %. Et pour remplir une déclaration de plagiat, les professeures et professeurs doivent être certains de ce qu’ils avancent et apporter des preuves.

La direction du cégep a beau assurer son soutien, sans preuve béton, l’étudiante ou l’étudiant ne reprendra pas son évaluation et conservera la note qu’il a eue grâce à ChatGPT.

« Il faut quasiment que l’étudiant avoue qu’il l’a utilisé. S’il décide de ne rien dire et qu’on ne peut le prouver, alors la note demeure la même », déplore Édith Pouliot.

L’évaluation en classe, au détriment de l’enseignement

Pour contrer le problème, les professeurs de philosophie du Cégep de Sainte-Foy ont décidé l’an dernier de tester un examen en présentiel pour tous les élèves du même niveau, en même temps. Une solution qui peut difficilement être appliquée à tous les cours, notamment en raison du manque de locaux.

« Face à cette réaction des profs de vouloir protéger la valeur des évaluations, le cégep est pris au dépourvu, indique Édith Pouliot. Il ne peut adapter ses infrastructures physiques, informatiques et organisationnelles aux demandes et aux besoins des profs. Le collège dit prendre ce sujet au sérieux, mais à part des conférences et de la formation sur le sujet, il n’est pas en mesure de soutenir les profs concrètement. »

D’autres collègues d’Édith Pouliot ont décidé de ne plus donner d’exercices ou d’évaluations écrites à faire à la maison. Tout se fait maintenant en classe.

Des périodes d’enseignement doivent cependant être réduites pour laisser la place à ces périodes d’écriture. L’enseignement est alors condensé, les évaluations sont repensées, bref, toute la pédagogie montée par les professeures et professeurs est chamboulée.

Comment les syndicats peuvent-ils aider leurs membres? 

En tant que présidente du Syndicat des professeures et professeurs du cégep de Sainte-Foy, Édith Pouliot se creuse les méninges pour trouver des manières d’épauler ses collègues, à qui on demande encore de s’adapter face à un nouveau défi. La formation offerte par le cégep n’est pas suffisante. Le problème est urgent et demande une intervention immédiate.

« On n’a pas de prise sur cette bibitte-là », déplore la professeure.

Utiliser l’IA, c’est tricher, mais… 

Même les étudiantes et étudiants canadiens estiment qu’utiliser l’IA pour effectuer des travaux, c’est tricher, mais plusieurs l’utilisent quand même!

Un sondage mené par le cabinet KPMG auprès d’étudiants canadiens âgés de plus de 18 ans au printemps dernier a révélé que 6 étudiants sur 10 considèrent l’utilisation d’outils d’IA générative comme de la tricherie, indique Radio-Canada. Cependant, la moitié d’entre eux les utilisent quand même et 87 % d’entre eux estiment même que leurs travaux sont de meilleure qualité.

Voici quelques statistiques d’intérêt tirées du rapport :

  • 31 % des personnes sondées n’ont jamais affirmé que le contenu généré par l’IA était leur propre contenu original;
  • 57 % des personnes dit craindre d’être accusés pour leur utilisation de l’IA;
  • 63 % ne sont au courant d’aucun contrôle effectué par leur établissement d’enseignement sur leur utilisation de l’IA;
  • 38 % disent que leur école a mis en œuvre ou prévoit mettre en œuvre des mesures disciplinaires (notamment l’expulsion ou la suspension) en cas d’utilisation de l’IA.

 

POUR EN SAVOIR PLUS 

Écoutez l’épisode du balado Prendre les devants consacré à l’intelligence artificielle dans le milieu scolaire et en enseignement supérieur.