Opinions
50e anniversaire du coup d’État au Chili : l’autre 11 septembre
18 septembre 2023
Par Luc Allaire, conseiller CSQ*
Je me souviens très bien du 11 septembre 1973. J’étais alors étudiant au cégep Bois-de-Boulogne et la nouvelle du coup d’État m’avait bouleversé. Je m’étais alors engagé dans le comité Québec-Chili, qui regroupait des étudiants de plusieurs cégeps et d’universités ainsi que des groupes de gauche. C’était mon premier engagement sur une question internationale.
J’avais alors participé à l’occupation du consulat chilien à Montréal. Une fois rendus dans les bureaux, nous étions sortis sur le balcon et avions déroulé une grande bannière qui dénonçait le coup d’État.
Rappelons le contexte dans lequel s’est déroulée la journée du 11 septembre 1973.
Trois ans auparavant, le 4 septembre 1970, Salvador Allende avait été élu démocratiquement à la tête d’une large coalition de gauche, l’Unité populaire. Nous étions en pleine guerre froide. L’obsession de Washington était d’éviter un second Cuba.
En apprenant la victoire d’Allende, le président des États-Unis, Richard Nixon, avait déclaré qu’il fallait faire tomber ce « son of a bitch ». Il avait alors ordonné des opérations de déstabilisation, notamment en finançant des grèves dans le secteur du transport pour faire saigner l’économie chilienne.
Mais ce sont les forces armées chiliennes qui ont fait un putsch militaire.
Cette « voie chilienne vers le socialisme » a suscité un grand engouement en Europe et au Canada. L’Unité populaire était une expérience unique dans l’histoire du socialisme au XXe siècle. Elle était à la fois radicale dans sa volonté de transformation sociale et enracinée dans la démocratie.
À la fin des années 1960, après les révélations des crimes du stalinisme, l’alignement de La Havane sur Moscou dans la répression du printemps de Prague en 1968, le désenchantement était grand pour la gauche mondiale. L’expérience chilienne apparaissait alors comme l’utopie parfaite d’une révolution authentique, qui n’avait pas besoin de faire tomber des têtes.
D’autant plus que le discours du gouvernement Allende s’accompagnait d’actions. La réforme agraire rendait possible une redistribution des terres, qui transformait la condition paysanne. La nationalisation des industries extractives a permis à l’État de récupérer des ressources qui avaient été volées par les multinationales.
Cette expérience suscitait l’enthousiasme au Chili. Lors des élections municipales de mars 1971, l’Unité populaire obtenait un score supérieur (50 % des voix) à Allende en 1970 (36 % des voix).
L’écho international du 11 septembre était proportionnel à l’enthousiasme qu’avait suscité l’arrivée au pouvoir de l’Unité populaire. Le coup d’État était très médiatisé.
La junte affichait sans vergogne la répression. Les photos du stade national de Santiago, où ont été parqués les opposants, circulaient partout. Cette médiatisation aviva les sensibilités, notamment la nouvelle du décès d’Allende.
À la suite du coup d’État, des milliers de Chiliennes et de Chiliens de gauche ont été accueillis au Québec, et ce, dans un contexte de crise économique mondiale dû au choc pétrolier de 1973. Ce dernier avait provoqué une augmentation importante du taux de chômage. Néanmoins, les Chiliennes et Chiliens ont été très bien accueillis, et ils s’intégrèrent très bien à la société québécoise.
Les organisations syndicales au Québec se sont montrées solidaires du peuple chilien, en organisant notamment une conférence internationale de solidarité ouvrière, en juin 1975, dont l’un des thèmes principaux était la dénonciation du coup d’État au Chili. Cette conférence a résulté en la création du Centre international de solidarité ouvrière (CISO).
Quelle est la situation actuelle au Chili?
En décembre 2021, les Chiliennes et les Chiliens ont voté pour un président de gauche, Gabriel Boric. Cette élection a été le fruit d’un vaste mouvement de contestation populaire débuté en octobre 2019.
J’ai eu la chance de participer à une mission d’observation réunissant des universitaires, des syndicalistes et des députés québécois et canadiens en janvier 2020. Nous avons pu constater l’ampleur de ce mouvement de contestation. Plus d’un million de Chiliennes et de Chiliens étaient descendus dans la rue lors de manifestations qui faisaient suite à l’étranglement économique auquel sont soumises les classes populaires et moyennes.
« Le Chili a été le berceau du néolibéralisme, il en sera le tombeau », nous disait-on. Il y avait aussi une volonté de rompre avec le modèle néolibéral hérité de Pinochet. Le 25 octobre 2020, 80 % de la population chilienne a voté en faveur d’une assemblée constituante.
Malheureusement, le projet de constitution progressiste, qui était proposé par cette assemblée constituante, a été battu lors d’un plébiscite en septembre 2022.
J’étais à Santiago pour l’occasion, où s’étaient rendues des délégations de plusieurs pays. La déception a été très grande lorsque nous avons appris les résultats : 62 % de la population chilienne a voté contre ce projet de constitution, qui était certainement la plus progressiste du XXIe siècle.
Il faut dire que la propagande de la droite, alimentée par le mensonge et la désinformation, a été épouvantable. Quelques exemples : les journaux de droite prétendaient que les gens perdraient leur maison, car la nouvelle constitution octroyait la possibilité de construire des logements sociaux, et que les paysans ne pourraient plus monter à cheval à cause du droit à la nature. Un chauffeur de taxi m’a expliqué pourquoi il avait voté « non » : « J’ai beaucoup économisé pour acheter une maison, je ne voulais pas la perdre. »
Le grand danger actuellement est la perte de confiance dans la démocratie, pas seulement au Chili, mais dans l’ensemble de l’Amérique latine, en Europe et aux États-Unis. Plus il y a d’inégalités, moins il y a de consentement à la démocratie.
Aujourd’hui, les plus grands défis des démocraties sont la réduction des inégalités et la transition juste pour faire face aux changements climatiques. Malheureusement, de nombreux régimes démocratiques perpétuent les politiques néolibérales qui aggravent les inégalités. D’où la perte de confiance dans la démocratie chez une fraction importante de la population.
En terminant, j’étais récemment de passage à Washington pour une réunion de l’Internationale des services publics (ISP). J’ai profité de mon séjour pour aller visiter le Musée National d’Histoire Américaine. On y faisait l’éloge de la révolution américaine, qui avait permis la fondation de la première démocratie au monde. Mais on ajoutait que les promesses de liberté n’avaient été réalisées que pour une partie seulement de la population, l’esclavage ayant perduré pendant un siècle pour les Noirs.
Il y avait aussi une référence au coup d’État au Chili. On y mentionnait le paradoxe entre la promotion de la démocratie faite par les États-Unis et leur appui aux dictatures, dénonçant l’appui à Pinochet, qui a fait un coup d’État sanglant mettant fin à la démocratie au Chili.
Afin de souligner le 50e anniversaire du coup d’État au Chili, plusieurs activités de commémoration sont organisées à Montréal, notamment une exposition sur l’héritage d’Allende au Québec en mémoire du 11 septembre 1973. Pour en savoir plus, visitez également le site de la Fondation Salvador Allende de Montréal.
*Luc Allaire est également président de la Fondation Salvador Allende de Montréal