Québec, le 30 mai 2016. – Ce matin, 270 professeurEs et chargéEs de cours universitaires de partout au Québec unissent leurs voix pour dénoncer le projet de loi 70 du ministre François Blais. Le Collectif pour un Québec sans pauvreté trouve particulièrement encourageant qu’autant d’intellectuelLEs, provenant d’horizons divers, pourfendent cette nouvelle réforme de l’aide sociale.
« Voilà des mois qu’on répète au ministre Blais que son projet de loi est inacceptable parce qu’il s’attaque aux personnes les plus pauvres de notre société. Aujourd’hui, l’appui d’autant de professeurEs et de chargéEs de cours universitaires vient nous montrer, une fois de plus, que notre lutte est largement partagée et fondée sur des bases solides. Contrairement à ce que peut croire le ministre, les menaces et les pénalités ne fonctionnent pas. Elles ne feront pas sortir les personnes de la pauvreté », déclare Serge Petitclerc, porte-parole du Collectif.
Le point de vue de six professeurEs et chargéEs de cours
Résumant l’essentiel de son mémoire sur le projet de loi no 70, l’économiste Sylvie Morel, professeure titulaire au Département des relations industrielles de l’Université Laval, déclare : « Non seulement ce projet de loi entretient-il une profonde confusion entre politique de main-d’oeuvre et assistance sociale mais, en outre, il va à l’encontre de ce que nous apprend la littérature contemporaine dans le domaine des politiques publiques de l’emploi, eu égard à l’intégration sociale et professionnelle des personnes menacées d’exclusion. »
Pour Lucie Lamarche, professeure au Département des sciences juridiques de l’Université du Québec à Montréal, « Les personnes et les ménages les plus vulnérables sont dans bien des cas des working poor dont le statut alterne entre l’emploi précaire et le non emploi. A leur égard, le message du ministre est clair : conservez vos emplois de misère, quoi qu’il arrive et quoi qu’il en soit. Le projet de loi no 70 propose donc un Québec où les personnes en situation de pauvreté sont larguées de deux manières distinctes. Les ménages déjà bénéficiaires de l’aide sociale seront abandonnés à leur sort de prestataires, alors que celles et ceux qui se présenteront à la porte de l’aide de dernier recours devront se contenter d’une survie de petits boulots, laquelle sera agrémentée pour une période transitoire d’une allocation de participation. »
De son côté, Paul-André Lapointe, professeur titulaire au Département des relations industrielles de l’Université Laval, qui est en train de terminer une recherche sur la sécurisation des trajectoires professionnelles, soutient : « En obligeant sous contrainte de pénalités des personnes sans emploi à accepter n’importe quel emploi, le projet de loi no 70 contribue à maintenir et à accroître des emplois de mauvaise qualité, soit des emplois précaires, faiblement rémunérés et faiblement qualifiés. Ce dont le Québec aurait besoin, c’est d’un programme Objectif emploi de qualité ».
Carole Yerochewski, sociologue, chargée de cours à l’Université de Montréal et auteure du livre Quand travailler enferme dans la pauvreté et la précarité, va dans le même sens : « Le gouvernement et le ministre François Blais en particulier, qui a écrit un plaidoyer en faveur du revenu minimum garanti, ne peut ignorer les travaux montrant depuis plus de vingt ans que la coercition et la réduction des montants d’aide sociale ne font que rendre plus difficile le retour à l’emploi. Ce projet de loi ressemble donc à une offensive visant à remettre en cause le droit à une assistance de dernier recours. »
Christine Vézina, professeure adjointe à la Faculté de droit de l’Université Laval, dont la spécialisation porte sur les droits économiques sociaux et culturels, rappelle pour sa part que « le Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels (PIDESC) impose au gouvernement québécois l’obligation d’assurer la réalisation progressive du droit à un niveau de vie suffisant des personnes. Or, en prévoyant des coupes coercitives, c’est plutôt une mesure régressive qui est mise en place, en violation des obligations imposées par le PIDESC au Québec. En imposant l’extrême pauvreté comme condition de vie, cette mesure va à l’encontre des recherches qui démontrent l’impact néfaste de la pauvreté sur la santé des personnes ainsi que sur leur accès au logement et à une nourriture suffisante et elle est susceptible de violer d’autres droits sociaux fondamentaux protégés par le PIDESC et par les Chartes canadienne et québécoise. »
Enfin, Pierre Issalys, professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université Laval, souligne quelques aspects pernicieux du projet de loi : « Des mots détournés de leur sens, comme « offrir » et « engagement », là où tout est imposé. Des règles essentielles laissées en blanc : qui sera, pour le moment, visé par ce nouveau programme? Que sera un « emploi convenable »? Jusqu’où la prestation dite « de base » pourra-t-elle être réduite? Des contraintes et des avantages discrétionnaires, déterminés sans recours possible. Au total, pour ces personnes, l’insécurité juridique s’ajouterait à l’invisibilité sociale. »
En conclusion
Notons finalement que trois organisations syndicales ont décidé d’appuyer la démarche des professeurEs et chargéEs de cours contre le projet de loi no 70. Il s’agit de :
- La Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ-CSN), qui représente 34 000 membres.
- La Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ), qui représente 65 000 membres.
- La Fédération des enseignantes et enseignants de cégep (FEC-CSQ), qui représente 2 800 membres;
« Au final, le ministre Blais devra bien finir par admettre que le projet de loi no 70 suscite la quasi-unanimité contre lui. Il est injustifiable à tous points de vue de s’attaquer aux personnes assistées sociales, tout comme il est inadmissible de recourir à des préjugés pour masquer le manque de rigueur d’une argumentation », conclut Virginie Larivière, porte-parole du Collectif.
La liste des signataires est consultable à l’adresse suivante : http://www.pauvrete.qc.ca/profs/