Montréal, le 9 septembre 2015. – La Ligue des droits et libertés (LDL), ainsi que divers autres organismes, dont le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), le Conseil central du Montréal métropolitain (CCMM-CSN), la Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP), la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et l’Association des groupes d’intervention en défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ) pressent la ministre de la Sécurité publique d’apporter des modifications de fond au règlement sur le point d’être adopté au sujet du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), sans quoi ce dernier reproduira plusieurs lacunes importantes mises en évidence lors des enquêtes sur la mort de Fredy Villanueva, Alain Magloire et plusieurs autres. Ils appellent la ministre à donner suite aux revendications que plus de 40 organisations populaires, environnementales, syndicales et de défense des droits lui ont transmises au printemps dernier et qui visaient à assurer une plus grande indépendance, efficacité et transparence du BEI.
« Nous sommes à un moment crucial dans la mise en place de ce nouveau processus d’enquête sur la police puisqu’il s’agit ici des règles sur le déroulement des enquêtes du BEI. Or, affirme Nicole Filion, coordonnatrice de la LDL, le règlement proposé risque de compromettre à la fois l’autorité du BEI, sa crédibilité et son efficacité. La ministre doit corriger le tir si elle ne veut pas en faire finalement un tigre de papier. Pour éviter toute possibilité de collusion, elle doit s’assurer que les policiers, policières et témoins impliqués ne puissent communiquer entre eux avant de rendre leur rapport au BEI, ce que le règlement ne garantit pas. Elle doit prévoir des sanctions en cas de non-collaboration et de non-respect des obligations prévues au règlement, ce que le règlement ne fait pas. Elle doit également s’assurer que le BEI demeure maître-d’oeuvre de l’enquête, alors que le règlement laisse au directeur du corps de police impliqué un rôle de premier intervenant à la suite de l’événement. »
Les organisations rappellent que le rôle et les pouvoirs exceptionnels dont disposent les membres des forces policières (le pouvoir de tuer) exigent des mesures d’enquête et de surveillance répondant aux plus hauts standards d’impartialité et de transparence. « Or, le règlement n’est pas à la hauteur de ces standards. En effet, lorsque le directeur des poursuites criminelles et pénales prend la décision de ne pas poursuivre les policières et policiers impliqués, le BEI devrait être tenu de rendre public l’ensemble du dossier d’enquête, ce que le projet de règlement actuel ne prévoit pas », s’indigne Manon Perron, porte-parole du CCMM-CSN.
Les organisations s’inquiètent également de la portée beaucoup trop restreinte du règlement, qui aura pour effet que des incidents graves impliquant la police échapperont au BEI. La définition de blessure grave, qui établit les circonstances commandant la tenue d’une enquête indépendante, est beaucoup trop restreinte. Elle ne tient pas compte de la nature diversifiée des blessures qui peuvent être causées lors d’interventions policières et doit être élargie. Les enquêtes devraient aussi porter sur les incidents survenus lors des manifestations, comme ce fut le cas au printemps dernier lorsqu’une jeune manifestante a été grièvement blessée à Québec suite au tir d’un projectile à bout portant par un policier.
« Il est assez incroyable que la ministre ne tienne pas compte des nombreuses critiques formulées par l’Ombudsman de l’Ontario à propos de l’Unité des enquêtes spéciales, le pendant ontarien du BEI, affirme Alexandre Popovic de la Coalition contre la répression et les abus policiers. On aurait pu au moins espérer que le règlement donne au BEI les moyens d’assurer son indépendance à l’égard des corps policiers, ce qui n’est pas le cas. En effet, le règlement fait en sorte que, pour certains aspects de l’enquête, le Bureau se retrouve carrément à la remorque des ressources des corps policiers, ce qui ne manquera certainement pas de poser un grave problème au niveau de son indépendance. »
Dans sa forme actuelle, le BEI ne peut constituer un mécanisme d’enquête impartial et indépendant en mesure d’atténuer les craintes ressenties par les personnes marginalisées à l’égard de la police. « À l’onde de choc créée à la suite du décès de personnes en situation d’itinérance sous les balles des policiers, tels que Mario Hamel et Farshad Mohamadi, s’est ajouté un fort sentiment d’impunité et de sérieux doutes quant à l’impartialité du processus des enquêtes qui ont suivi, indique Bernard St-Jacques du RAPSIM. Des modifications devraient être apportées au modèle actuel afin que celui-ci réussisse véritablement à atténuer le sentiment d’injustice et d’impunité ».
« Nous refusons d’attendre que survienne un autre incident impliquant la police pour mettre en lumière les lacunes de ce nouveau processus d’enquête. La ministre doit saisir cette occasion pour doter le Québec d’un mécanisme d’enquête efficace et crédible qui réponde aux attentes de la population », conclut Nicole Filion.
À propos de la Ligue des droits et libertés
La LDL est un organisme à but non lucratif, indépendant et non partisan, issu de la société civile québécoise et affilié à la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH). Depuis plus de 50 ans, elle milite en faveur de la défense et de la promotion de tous les droits humains reconnus par la Charte internationale des droits de l’homme.