Travail

Travailler ne devrait jamais coûter la santé… ni la vie

28 avril 2025

La prévention des accidents et des maladies liées au travail est depuis toujours au cœur des luttes ouvrières. C’est d’ailleurs la principale raison pour laquelle les travailleuses et les travailleurs se sont regroupés pour faire valoir leurs droits. Les dérives du régime ont été abordées lors du Sommet SST 2025, parce que personne ne devrait risquer sa vie pour gagner sa vie.

Par Félix Cauchy-Charest, conseiller CSQ | Photos : Pascal Ratthé

Les 15 et 16 avril derniers, un événement historique a réuni les principales organisations syndicales de la province, dont la CSQ, pour réaffirmer l’importance de la santé et de la sécurité du travail (SST). Au cœur du Sommet SST 2025, où 1500 personnes étaient réunies, un constat est ressorti du panel de la dernière journée : on ne devrait jamais mourir au travail.

Cette évidence simple, aujourd’hui partagée tant par les travailleuses et les travailleurs que les patrons, n’a pourtant pas toujours fait consensus. Avant l’adoption de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST), en 1979, et de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP), en 1985, il était courant que le travail rende malade, voire tue. On n’a qu’à penser aux allumettières ou aux mineurs de l’amiante, victimes de conditions de travail toxiques.

Dérive individualiste et marchande

Avec le temps, le régime de protection a dérivé vers une logique marchande, s’éloignant de sa mission première : prévenir plutôt que guérir. Il s’adapte mal aux avancées de la recherche, notamment en ce qui concerne les risques psychosociaux du travail. La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), plutôt que d’agir en amont (en prévention), privilégie trop souvent une approche corrective, influencée par les puissantes organisations patronales, proches des gouvernements successifs.

« On assiste à une judiciarisation à outrance de la SST », a dit Dalia Gesualdi-Fecteau, animatrice de l’événement et professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal et directrice du Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT).

Dalia Gesualdi-Fecteau, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal et directrice du CRIMT

« Cette judiciarisation entraîne des stratégies d’évitement individuelles et expliquerait grandement les sous-déclarations d’événements, particulièrement dans les milieux non syndiqués », a ajouté, quant à lui, Félix Lapan, secrétaire général de l’Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades (UTTAM).

Félix Lapan, secrétaire général de l’UTTAM

Kaven Bissonnette, vice-président de la Centrale des syndicats démocratiques (CSD), a souligné que les mutuelles de prévention, auxquelles adhère la majorité des employeurs, contestent systématiquement les réclamations. « Ce système déshumanise complètement le processus. Là où une entente était possible, le dialogue est désormais rompu », a-t-il déploré.

Les risques invisibles

Et que dire des risques psychosociaux, encore trop souvent ignorés? Vice-présidente de la CSQ, Nadine Bédard-St-Pierre a dit déplorer leur invisibilisation : « Comme les risques psychosociaux sont souvent liés, à tort, au droit de gestion des employeurs [faible autonomie décisionnelle, manque de reconnaissance, surcharge de travail, manque de soutien], à l’exception du harcèlement et de la violence psychologique, les patrons ont tendance à ne pas les prendre au sérieux. » Les travailleuses et les travailleurs ont donc souvent recours au chômage ou, pour les plus chanceux, à l’assurance salaire. « Conséquemment, il y a moins de déclarations d’incidents, les risques psychosociaux figurent moins dans les statistiques et on ne met pas en place des mesures de prévention suffisantes. C’est un cercle vicieux! », a-t-elle ajouté.

Pourtant, les conséquences sont bien réelles : troubles musculosquelettiques, maladies cardiovasculaires, dépression chronique… Autant de problématiques qui nuisent à la santé des personnes et entraînent des coûts importants pour la société.

Nadine Bédard-St-Pierre, vice-présidente de la CSQ

Un organisme qui manque de moyens

La logique managériale de la nouvelle gestion publique et des méthodes Lean, qui prévaut à la CNESST, entrave sa capacité à réaliser son mandat. « À la base, la CNESST n’est pas une compagnie d’assurance pour les patrons! Sa mission, c’est de protéger les travailleuses et les travailleurs », a rappelé David Bergeron-Cyr, vice-président de la CSN. « De plus, il manque un grand joueur dans cette organisation : l’État employeur, qui est responsable de 40 % des contestations », a ajouté Nadine Bédard-St-Pierre.

Selon cette dernière, si la CNESST faisait davantage de prévention et moins de contestations, elle aurait les moyens d’embaucher suffisamment d’inspectrices et d’inspecteurs capables d’agir en amont.

Le maître-mot : mobilisation

« Il est temps de se réapproprier l’enjeu de la SST, a lancé Nadine Bédard-St-Pierre. Il faut repolitiser le débat et faire pression pour que la CNESST revienne à sa mission première. C’est pour ça qu’on s’est battus dans le passé et il faudra se battre à nouveau pour retrouver cette logique de prévention. Quand je nous vois réunis comme au cours des deux derniers jours, unis malgré nos bannières syndicales, je me dis qu’on est sur la bonne voie. »

Dalia Gesualdi-Fecteau a rappelé que « c’est la mobilisation du mouvement ouvrier qui a donné naissance aux protections sociales en matière de SST. Et cette mobilisation était effectivement bien palpable au Sommet SST 2025 ».

Une chose est claire : la prévention reste un enjeu fondamental, et c’est ensemble que les travailleuses et les travailleurs du Québec pourront faire bouger les choses.