Enjeux sociopolitiques, Société

Camp de déportation à Guantanamo : sommes-nous de retour dans les années 1930?

5 février 2025

C’est un « retour vers le futur » bien funeste qui se joue devant nos yeux : le 29 janvier dernier, deux jours après la commémoration de la libération d’Auschwitz et pendant qu’ici nous soulignions le tragique anniversaire de la tuerie islamophobe au Centre Culturel Islamique de Québec (CCIQ), Donald Trump a décrété l’ouverture d’un camp de déportation et de détention à Guantanamo, où il a l’intention d’expulser des dizaines de milliers de migrantes et migrants.

Par Marie-Sophie Villeneuve, conseillère CSQ

Guantanamo, c’est ce symbole de l’État de non-droit et d’exception où, depuis des décennies, des centaines de personnes sont enfermées, violentées et torturées, sans accusation ni aucune forme de procès. La violence étatique et froidement programmée, sans foi ni loi, celle qui dispose de moyens énormes, celle que l’on croyait disparue à jamais, pulvérisée par les leçons apprises à la dure il y a près d’un siècle, est pourtant en train de s’installer au cœur du pays le plus puissant de la planète, the land of the free.

La relative indifférence politique et médiatique autour de ces vies perçues comme excédentaires, et dont on dispose comme des variables politiques, est tout aussi inquiétante. On sait où de telles mesures peuvent mener : les camps de déportation se sont tous érigés sur les décombres de la démocratie et de l’État de droit. Chaque fois que l’humanité a joué dans ce scénario, ce fut, pour finir, un film d’horreur.

En 1933, à peine deux mois après son arrivée comme chancelier, Adolf Hitler ouvre le premier camp de déportation, Dachau. En conférence de presse, Heinrich Himmler présente l’initiative comme un camp modèle, destiné à protéger la population contre tout ce qui était déclaré « ennemi du peuple ». La presse salue même l’initiative. Bien entendu, la machine à propagande va bon train : on allait rééduquer tout ce beau monde avec la valeur du travail!

Comment en sommes-nous arrivés là de nouveau?

Nous sommes arrivés là exactement de la même façon qu’au début des années 1930. Les pays et les populations d’Europe peinaient à se remettre d’une première guerre mondiale s’étant terminée dans les affres d’une crise inflationniste et les râles d’une famine et d’une pandémie à côté desquels la Covid-19 fait presque figure de note de bas de page. Alors qu’une crise économique d’ampleur encore inégalée s’abattait sur les ménages, le désespoir et la colère ne demandaient qu’à être canalisés. C’est là que s’est jouée la traditionnelle rhétorique haineuse du bouc émissaire, qu’on transforme en ennemi intérieur. Les conséquences les plus horribles sont celles envers les Juifs. À l’époque, les stéréotypes et les discours haineux contre les communautés juives circulaient depuis longtemps déjà.

Le folklore haineux dirigé contre un groupe s’articule généralement autour de trois grandes associations, qui construisent une image dévalorisante de « l’autre », perçu comme un intrus et dépouillé de son humanité. Certes, les formes varient selon les époques, mais les études sur les rhétoriques haineuses montrent qu’elles reposent, dans l’ensemble, sur des mécanismes similaires :

  1. « L’autre » est violent (criminel, abuseur, terroriste);
  2. « L’autre » est responsable des maux économiques (il accapare les richesses, les emplois, les logements, etc.);
  3. « L’autre » est sale (il est responsable de toutes les décadences morales et sociales, il pollue le sang de la Nation).

On a vu la mécanique à l’œuvre contre les Juifs, mais aussi, pour donner d’autres exemples, contre les Arméniens, les Roms et les Tutsis.

C’est pourquoi, à peu de choses près, les déclarations des leaders judéophobes des années 1930 et celles de Donald Trump sont interchangeables. Il suffit de remplacer les termes « Juifs » par « migrants ». Au Judensau d’hier, nous avons maintenant des images de migrants noirs ensauvagés et estampillés comme des chasseurs de chats et de chiens en vue de les dévorer.

Les leaders politiques ont le privilège d’avoir accès aux plus importantes tribunes et de bénéficier d’une immense visibilité. En pédagogie, on apprend que la répétition est l’une des techniques les plus efficaces qui soient.

C’est ainsi que la mécanique de la déshumanisation arrive à terme et permet de mettre en œuvre l’horreur. C’est ainsi que nous regarderons, sur nos cellulaires, des dizaines de milliers d’êtres humains se faire emmener vers Guantanamo… ou peut-être pas. Cela aussi, nous le savons désormais : le contrôle de l’information par le pouvoir et l’usage de la censure et de la propagande sont essentiels au projet. Le chancelier allemand avait son journal officiel et ses milliardaires industriels. Le président américain a ses médias sociaux – devenus de puissants outils de propagandes officielles – et ses multimilliardaires du numérique.

Ne pas laisser la violence gagner

Ce que nous savons aussi, malheureusement, c’est que cette violence politique arbitraire en vient à s’exercer contre tout ce qui s’opposera à son pouvoir. Nous savons aussi qu’elle peut aisément s’inscrire dans une volonté plus large de contrôle des pays voisins. À ce titre, la militarisation des frontières, les purges au sein de l’appareil d’État, la propagande de masse ainsi que la décision de contrôler quels médias et quels journalistes auront accès à la tribune médiatique du Pentagone sont des drapeaux rouges.

Nous devons, plus que jamais, mettre de l’avant les enseignements de l’Histoire et ne pas céder aux discours qui tendent à déshumaniser les personnes immigrantes, quels que soient les enjeux. Avec ou sans statut, personne ne devrait être dépouillé de ses droits et de son humanité. Aucun enjeu de société ne peut être résolu ainsi.

Et nous ne devons, en aucun cas, nous laisser abattre par le découragement et le sentiment d’impuissance, car la violence aura gagné sur toute la ligne. Il est plus que jamais crucial de trouver en nous le souffle et l’énergie de lutter.

Nous devons en parler et dénoncer. Nous pouvons prendre la plume pour écrire dans notre journal local, à notre député et au gouvernement, prendre part à une mobilisation et renforcer nos collaborations avec les autres syndicats et organisations. Cela aussi, nous le savons : ce n’est jamais un seul homme ou un seul régime, mais les actions et les luttes de toutes et tous, tant individuelles que collectives, qui déterminent le cours de l’Histoire.