Balado Prendre les devants
Le visage de la pauvreté change
21 novembre 2024
Alors que la pauvreté ne cesse de gagner du terrain au Québec, il faut s’attaquer à ses causes, plaide Rosalie Dupont, coordonnatrice de la Table d’action contre l’appauvrissement de l’Estrie (TACAE). Or, les mesures gouvernementales sont loin d’être suffisantes pour y arriver, a-t-elle expliqué au balado Prendre les devants, animé par le président de la CSQ, Éric Gingras.
Par Anne-Marie Tremblay, collaboration spéciale
Depuis la pandémie, et avec la flambée des prix, la pauvreté a fait un bond au Québec. Ainsi, les personnes les plus vulnérables sont encore plus précaires qu’avant, a constaté Rosalie Dupont. Les travailleuses et les travailleurs sont aussi de plus en plus nombreux à avoir du mal à joindre les deux bouts. En fait, selon les chiffres rapportés par la coordonnatrice du TACAE, sur dix personnes en situation de pauvreté, quatre occupent un emploi : « La plupart d’entre elles travaillent à temps plein. À cause de salaires trop faibles, de mauvaises conditions de travail, elles ne sont plus capables de subvenir à leurs besoins. »
« Une personne doit travailler 47 heures par semaine au salaire minimum si elle veut sortir la tête hors de l’eau et gagner au-delà du seuil de pauvreté, a-t-elle poursuivi. Même les personnes gagnant 22 $, 23 $ ou 24 $ l’heure vont se retrouver sous le seuil de pauvreté, même si elles travaillent à temps plein », a-t-elle expliqué.
« Tout le monde est d’accord avec le fait qu’une personne qui travaille à temps plein ne devrait pas être en situation de pauvreté dans une nation aussi riche que celle du Québec », a-t-elle renchéri. La pauvreté gagne aussi du terrain chez les personnes retraitées, en particulier les femmes, qui voient les prix monter alors que leurs revenus stagnent.
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Bas de vignette : Rosalie Dupont, coordonnatrice de la Table d’action contre l’appauvrissement de l’Estrie (TACAE)
Autre constat : la pauvreté touche toutes les régions du Québec, a dit Rosalie Dupont. « Certaines études démontrent même que le coût de la vie est plus élevé en Gaspésie qu’à Montréal, et ce, même si cela coûte plus cher de se loger [dans la métropole]. » Cela s’explique, entre autres, par les prix des denrées alimentaires et du transport, plus élevés en région. Ainsi, les demandes d’aide dans les banques alimentaires de Coaticook ont augmenté de 33 % dans la dernière année, a souligné la coordonnatrice. « Et en Estrie, le nombre de personnes en situation d’itinérance visible a bondi de 51 % en quatre ans. C’est énorme », a-t-elle ajouté.
Travailler sur les causes et non seulement sur les conséquences
L’un des problèmes soulevés par Rosalie Dupont est le fait que le gouvernement Legault mise sur les interventions d’urgence – en finançant, par exemple, les banques alimentaires – sans s’attaquer aux causes réelles de la pauvreté. « Pourtant, il en coûterait vraiment moins cher de régler le problème à la source. Certaines études estiment d’ailleurs que la pauvreté coûte chaque année 17 milliards de dollars au gouvernement, au système carcéral, de santé, d’éducation… Ce sont des sommes qui sont dépensées pour faire face aux conséquences de la pauvreté. »
Lutter contre la pauvreté, un choix politique
Ainsi, même s’il faut répondre à des besoins immédiats, il faut sortir de la logique de la charité et aller plus loin pour aider les personnes à se sortir de la pauvreté, en améliorant leurs revenus, par exemple. « Mais, de toute évidence, le gouvernement ne veut pas investir en prévention. On a un gouvernement qui va systématiquement faire des choix où l’État se désengage. Par exemple, en baissant les impôts, il a moins d’argent pour lutter contre la pauvreté. »
Selon Rosalie Dupont, « alors qu’on vit la plus importante crise sociale des dernières décennies, le plus récent plan de lutte contre la pauvreté, qui a été déposé par le gouvernement de la CAQ plus tôt cette année, comprenait quatre fois moins d’investissements que sa version précédente, adoptée il y a six ans ». En effet, le gouvernement a alloué une enveloppe de 750 millions $ à ce plan, montant qui était de 3 milliards $ dans la version précédente.
Ce choix est politique, estime Rosalie Dupont. En effet, les gouvernements ont une vision à courte vue, préférant poser des actions ayant des effets immédiats, plutôt qu’à long terme, puisqu’ils ne seront plus au pouvoir au moment d’en récolter les fruits.
« Le gouvernement adhère à l’idée que ce sont les plus riches et les grandes entreprises qui tireront la richesse de la société vers le haut, mais il a été démontré plusieurs fois que cette théorie du trickle-down economics, du ruissellement, ne fonctionne pas. Pour lutter contre la pauvreté, il faut plutôt soutenir les personnes qui se retrouvent dans le premier quintile, soit les 20 % qui gagnent le moins », a précisé Minh Nguyen, conseiller à la recherche socio-économique à la CSQ.
D’où l’importance d’une mobilisation forte autour de cet enjeu qui affecte les travailleuses et travailleurs au bas de l’échelle et les personnes les plus vulnérables, mais aussi l’ensemble de la société. À ce propos, la CSQ joint sa voix à celle de plusieurs autres organisations pour réclamer du gouvernement qu’il mette en place plus de mesures pour lutter contre la pauvreté et réduire l’écart qui se creuse entre les plus riches et les plus pauvres.
* Pour une meilleure compréhension, les propos ont été édités.
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