Société, Syndicalisme
L’avantage syndical : le « meilleur » pour toutes et tous
6 novembre 2024
« Que veulent les syndicats? », aurait demandé un président américain à Samuel Gompers, pionnier du mouvement ouvrier. Sa réponse : « Plus! ». Cet écho résonne encore aujourd’hui, alors que l’avantage de la syndicalisation, malgré un léger déclin, est toujours palpable.
Par Pierre-Antoine Harvey, conseiller CSQ
Encore aujourd’hui, un des objectifs principaux des travailleuses et des travailleurs qui forment un syndicat consiste à augmenter leurs salaires et à améliorer leurs conditions de travail. Au Canada, l’avantage salarial syndical, qui mesure l’écart de salaire entre le personnel syndiqué et ses homologues non syndiqués, se situerait entre 7 % et 16 %, selon les études. On observe cependant un déclin de cet avantage depuis la fin des années 1990, alors qu’il était à l’époque autour de 23 %.
Pourquoi l’avantage salarial syndical est-il en déclin? Tour d’horizon.
D’où vient l’avantage salarial syndical?
L’avantage salarial des travailleuses et travailleurs syndiqués s’explique en partie par la structure syndicale à la nord-américaine, qui favorise la syndicalisation des entreprises où les salaires ont un fort potentiel d’augmentation, soit celles :
- De secteurs à faible concurrence;
- À forte valeur ajoutée et à faible intensité en travail;
- Où la formation et les compétences sont spécialisées et reconnues;
- Où l’identification professionnelle est forte.
Par exemple, il est plus facile de syndiquer les travailleuses et travailleurs de l’industrie automobile que du secteur de la restauration. Cet « effet de distribution » explique une partie de l’avantage salarial observé.
Cependant, l’action syndicale elle-même améliore les salaires. Grâce à la négociation collective et à l’exercice du droit de grève, les syndicats renversent deux avantages importants qu’ont en général les employeurs dans une négociation individuelle :
- La concurrence entre les personnes salariées pour des emplois offerts par un petit nombre d’entreprises.
- Le refus de l’employeur de payer les niveaux de salaires exigés, car il peut se tourner vers des solutions de rechange pour faire de l’argent (sous-traitance, technologie, etc.).
La menace de grève permet de montrer à quel point le travail des employés est essentiel à la réalisation de la mission de l’entreprise, forçant ainsi une meilleure reconnaissance salariale.
Lorsqu’un syndicat domine un secteur entier, il peut aussi utiliser des stratégies similaires à celles des ordres professionnels, comme la mise en place d’actes réservés obligatoires, la limitation de l’accès à la profession par la formation ou des permis ou encore l’augmentation des exigences de formation. Ces stratégies, souvent associées aux professions, comme celles de médecins et de notaires, ont été adoptées avec succès, notamment dans le secteur de la construction. Ces normes professionnelles servent avant tout à protéger le public et à garantir la qualité. Cependant, elles permettent aussi de limiter la concurrence entre employés.
Enfin, l’impact favorable des syndicats ne se limite pas aux salaires. Il provient aussi d’autres clauses négociées qui touchent la sécurité d’emploi, la reconnaissance de l’expertise et des qualifications, l’accès à la formation continue, à l’apprentissage d’une langue (francisation en milieu de travail), à la démocratie et à l’action politique.
Pourquoi l’avantage syndical est-il en déclin?
Le déclin de la présence syndicale, qui est passée de près de 38 % en 1981 à moins de 29 % en 2022, explique en partie la diminution de l’avantage syndical. Cependant, c’est surtout la transformation de la composition des effectifs syndicaux qui explique ce phénomène.
La réduction de la présence syndicale a principalement eu lieu du côté des hommes, des employés du secteur privé et des travailleuses et travailleurs les moins diplômés. C’est justement dans ces groupes que l’avantage syndical est traditionnellement le plus fort (construction, secteur manufacturier, ressources naturelles, transports et utilités publiques). Parallèlement, des secteurs bien rémunérés, mais historiquement moins favorables à la syndicalisation, comme les secteurs de la finance, du développement de logiciels ou de l’informatique, occupent une place de plus en plus importante dans l’économie canadienne.
À la suite de la pandémie, les salaires dans les secteurs non syndiqués ont augmenté plus rapidement que dans les secteurs syndiqués. Cela s’explique en partie par la capacité des employeurs des milieux non syndiqués de réagir unilatéralement et plus rapidement à l’inflation et à la pénurie de main-d’œuvre, contrairement aux employeurs de milieux syndiqués, soumis aux échéances fixes des contrats de travail (trois à cinq ans).
Cependant, depuis la fin de 2022, les syndicats effectuent un rattrapage important grâce à des ententes signées qui atteignent des niveaux jamais vus depuis 40 ans.
D’autres avantages… sociaux
L’avantage syndical ne se limite pas aux salaires. L’analyse du marché du travail montre clairement que les travailleuses et travailleurs syndiqués bénéficient également d’un meilleur accès aux autres avantages sociaux que leurs collègues non syndiqués.
- Les personnes syndiquées disposent de recours contre des décisions injustes de l’employeur, qu’il s’agisse de congédiement, de réaffectation, de promotion ou de mesures disciplinaires.
- Elles ont près de deux fois plus de chances d’être protégées par un régime de retraite complémentaire financé par l’employeur.
- Près de 80 % des personnes syndiquées ont accès à des congés de maladie payés, contre seulement 57 % des travailleuses et travailleurs non syndiqués.
- Les personnes syndiquées bénéficient d’une semaine de congé payé supplémentaire par rapport à celles non syndiquées.
- Au total, 73 % des personnes syndiquées ont accès à un régime d’assurance maladie complémentaire, contrairement à seulement 54 % des non syndiquées.
Une présence syndicale qui réduit les inégalités sociales
Dans les pays développés, l’avantage syndical ne se fait pas au détriment des travailleuses et travailleurs non syndiqués. Au contraire, l’action des syndicats contribue à réduire les inégalités sociales et de revenus dans l’ensemble de la société.
La simple menace de syndicalisation pousse les employeurs à améliorer les conditions de travail pour éviter que l’insatisfaction des travailleuses et travailleurs ne les incite à s’organiser collectivement ou à rejoindre un concurrent syndiqué. Plus la menace de syndicalisation est forte, plus l’effet est marqué, réduisant ainsi paradoxalement l’avantage syndical direct.
En général, la présence syndicale exerce une compression sur le bas de la structure salariale, ce qui diminue les inégalités générales. De plus, l’action des syndicats en faveur des groupes minorisés (par exemple, les femmes et les populations racisées) réduit la discrimination salariale envers eux dans l’ensemble de l’économie.
Les syndicats sont également les seules organisations démocratiques dotées de ressources autonomes, capables de porter la voix des travailleuses et travailleurs et d’agir comme contrepoids aux organisations patronales, aux chambres de commerce et aux lobbys sectoriels. Leur participation au débat démocratique favorise la mise en place de politiques visant une plus grande justice sociale et une réduction des inégalités. En collaboration avec les groupes populaires et féministes, les syndicats font pression pour la hausse du salaire minimum, des lois sur l’équité salariale, de meilleures protections sociales, une fiscalité plus juste, pour ne citer que quelques exemples.
Partager la tarte sans l’empêcher de grandir
Les études internationales montrent que l’action syndicale n’a pas d’effet négatif sur la performance économique d’un pays. Une revue des études universitaires faite par la Banque mondiale arrive à un constat décevant pour les fervents partisans ou les critiques du syndicalisme : son effet est souvent non significatif sur des indicateurs tels que le taux de croissance économique, le niveau d’investissement, l’inflation, le chômage et la productivité.
Ce dernier élément est surprenant, surtout après avoir démontré que les syndicats augmentent le coût du travail. L’explication réside dans le fait que l’action syndicale compense en améliorant l’efficacité des entreprises.
Voici quelques exemples :
- La sécurité d’emploi facilite l’adoption et l’adaptation aux nouvelles technologies.
- La stabilité de la main-d’œuvre encourage l’investissement dans la formation et le perfectionnement des employés.
- La présence d’un syndicat facilite la franchise dans les « groupes de qualité » en fournissant un interlocuteur légitime.
- L’épargne-retraite encouragée ou organisée par les syndicats contribue au capital de risque et aux investissements.
Le mouvement syndical doit faire partie des solutions
Malgré une reconfiguration du marché du travail, de l’effectif et un déclin de sa présence dans le secteur privé, le mouvement syndical contribue encore à l’amélioration des conditions de travail et de vie des membres qu’il représente. Son influence sur le marché du travail et sur les politiques publiques assure aussi une plus grande égalité pour toutes et tous.
Si notre objectif consiste à améliorer le bien-être économique et social de la majorité, un mouvement syndical dynamique doit faire partie des solutions. Il est essentiel de renforcer l’accès à la syndicalisation, particulièrement dans les secteurs économiques à faibles salaires, là où son avantage est le plus fort.
Des stratégies institutionnelles existent pour surmonter les défis liés à l’accréditation des syndicats dans des secteurs à forte concurrence entre petits employeurs, à haut taux de roulement élevé. Il faut :
- encourager la création de syndicats sectoriels ou professionnels, comme dans la construction, les commerces de détail ou l’Union des artistes (UDA);
- ouvrir de nouveau les décrets de conventions collectives sectorielles, comme il y en avait dans le secteur de la couture;
- favoriser l’accréditation multipatronale, par exemple pour les maisons d’hébergement.
Ces mesures permettraient à bon nombre de travailleuses et travailleurs d’améliorer leurs conditions économiques et surtout leur qualité de vie.
Maintenant, la vraie réponse à la question « Que veulent les syndicats? » doit être simplement : « le meilleur! ».