Enjeux sociopolitiques, Société
Élections américaines : une campagne hors norme aux enjeux cruciaux
29 octobre 2024
Conférencier invité lors du conseil général de la CSQ, le 24 octobre dernier, le professeur en science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Charles-Philippe David, a offert une analyse captivante de l’élection présidentielle aux États-Unis, marquée par des tensions sans précédent et des dynamiques imprévisibles. Pour cet expert en politique américaine, cette course entre Kamala Harris et Donald Trump est la plus « incroyable, inédite et déroutante » qu’il ait jamais observée.
Par Audrey Parenteau, rédactrice en chef | Photos : Félix Cauchy-Charest
Lors de sa conférence, Charles-Philippe David a livré une analyse percutante de l’élection présidentielle de 2024 aux États-Unis, soulignant les fractures sociales et idéologiques qui divisent nos voisins du sud. « On dirait que l’élection n’a plus rien à voir avec la planète Terre », a-t-il ironisé, traduisant la complexité et l’extravagance d’une course marquée par des dynamiques irréconciliables. Cette polarisation, qu’il qualifie digne d’une « réalité parallèle », plonge chaque camp dans une réalité indépendante, un phénomène qu’il observe pour la première fois.
La résurgence du populisme et la polarisation des électeurs
Pour Charles-Philippe David, le populisme et l’attrait pour un discours direct et provocateur incarné par Trump continuent de galvaniser une partie de l’électorat. « Comment pouvez-vous débattre ou offrir des programmes politiques si vous êtes toujours en train de vous défendre d’attaques personnelles? », a-t-il questionné. Il a évoqué un climat où le débat d’idées laisse place aux attaques incessantes. Selon lui, ce contexte pousse certains électeurs vers un discours clivant et percutant, souvent dépourvu de propositions concrètes, mais qui capte l’attention, en particulier celle des jeunes hommes attirés par l’image de l’homme puissant.
Le retour à des valeurs dites « traditionnelles » séduit l’électorat plus conservateur, surtout parmi la classe ouvrière blanche. « On voit que l’Amérique qui se cherche se tourne souvent vers ce type de figures », a dit l’expert.
Face à cette montée du populisme, Kamala Harris représente, selon Charles-Philippe David, une Amérique plus inclusive, mais qui doit composer avec des divisions internes. Kamala Harris, soutenue par les femmes, peine cependant à rassembler certains jeunes, fatigués par les promesses non tenues et les inégalités persistantes. Le politicologue souligne que, « malgré les efforts des démocrates, le Parti républicain réussit à séduire des électeurs centristes, car il offre un discours simple répondant à des préoccupations immédiates ».
L’enjeu crucial des minorités et de l’immigration
La question de l’immigration est un point sensible dans cette élection. Pour la première fois, l’électorat hispanique, majoritairement acquis aux démocrates, semble basculer, en partie, vers le Parti républicain. « On observe une fracture dans l’électorat hispanique, particulièrement en Arizona et au Nevada », a expliqué le conférencier, soulignant que ces voix pourraient être déterminantes dans le résultat final.
Le politicologue a également noté que les Afro-Américains, traditionnellement prodémocrates, expriment aussi des réserves : « Le problème, c’est que les démocrates s’en remettent souvent à des électorats dits fidèles sans toujours mesurer leur degré de satisfaction. »
Une démocratie sur le fil
Charles-Philippe David n’a pas caché son inquiétude pour l’avenir de la démocratie américaine : « Une démocratie ne tient que si ses institutions sont respectées, et en ce moment, ce respect s’effrite. » Les attaques répétées contre les institutions, accompagnées de discours violents, menacent directement les bases de la gouvernance, selon lui. En abordant la méfiance généralisée, il a ajouté que, « si l’élection n’est pas clairement tranchée, on pourrait voir se multiplier les recours aux tribunaux, transformant ainsi le processus électoral en une guerre judiciaire ».
Pour illustrer la fragilité actuelle de la démocratie américaine, Charles-Philippe David a mentionné le scepticisme grandissant envers le processus de vote. « De nombreux électeurs croient déjà que le scrutin sera truqué. »
Une Amérique sous tension
Les répercussions de cette élection dépassent les frontières américaines, affectant les relations internationales et économiques mondiales, en particulier dans le cas d’une victoire de Donald Trump. L’expert en politique américaine a expliqué qu’un retour de Trump pourrait menacer les accords commerciaux, notamment avec le Canada et les pays européens. « Ses surtaxes douanières et ses politiques protectionnistes ne sont pas seulement un désastre pour le commerce mondial; elles posent un risque direct pour l’économie américaine et pour ses alliés. »
En revanche, une victoire de Kamala Harris serait vue comme une continuité du mandat de Joe Biden. « Elle incarne une Amérique ouverte et engagée, mais elle doit composer avec une opposition qui n’hésite pas à utiliser des tactiques extrêmes pour la déstabiliser », a noté le conférencier.
Une élection sous haute tension
Pour Charles-Philippe David, cette élection n’est pas une simple bataille entre deux candidats, mais bien un test décisif pour la démocratie américaine. Il résume cette campagne comme une « collision de deux réalités », menaçant directement la stabilité de ce système politique. « La démocratie américaine ne pourra plus se permettre d’élections aussi divisibles sans risquer de graves fractures sociales. »
En somme, Charles-Philippe David voit dans cette élection la possible « première étape d’une remise en question radicale de la démocratie américaine », dont le monde entier devra observer les leçons et les conséquences.