Société

Importante victoire pour le droit à la vie privée du personnel enseignant

4 juillet 2024

La Cour suprême du Canada a récemment rendu une décision dans l’affaire Conseil scolaire de district de la région de York c. Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario, un dossier dans lequel la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) est intervenue lors de l’audience à l’automne 2023.

Par Marc Daoud, conseiller CSQ

Les faits se résument ainsi : alors que l’ambiance de travail dans une école était devenue toxique, deux enseignantes, sous les conseils de leur syndicat, ont commencé à tenir un journal de bord personnel accessible sur leur ordinateur de travail.

Le directeur de l’établissement est entré dans la classe alors que l’une des enseignantes avait quitté pour la journée. Il a eu accès à son journal de bord resté ouvert sur l’appareil. Il a pris des captures d’écran et s’en est servi afin d’imposer une mesure disciplinaire à l’enseignante et à sa collègue. Or, le journal personnel de l’enseignante était localisé dans l’infonuagique et ne se trouvait donc pas sur les serveurs de l’employeur.

La Cour suprême devait d’abord statuer si la protection de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte canadienne), concernant des fouilles, perquisitions et saisies abusives en matière criminelle, peut être appliquée en droit du travail.

Ensuite, elle devait statuer sur la portée et la teneur du droit à la vie privée en milieu de travail. Le personnel scolaire, par exemple, doit-il s’attendre à avoir une expectative de vie privée réduite lorsqu’il utilise les ordinateurs de son employeur à des fins personnelles? Un employeur peut-il fouiller et accéder à des renseignements de nature privée parce qu’ils se trouvent sur son matériel informatique et, si oui, à quelles conditions?

Qu’est-il au Québec?

Ici, le droit à la vie privée est protégé par la Charte des droits et libertés de la personne (Charte québécoise) et par le Code civil du Québec, qui traitent des mêmes protections que l’article 8 de la Charte canadienne. La Charte québécoise protège l’ensemble des travailleuses et des travailleurs alors que la Charte canadienne s’applique uniquement aux institutions gouvernementales (par exemple, les centres de service scolaires, les ministères, etc.).

Une protection supplémentaire

Historiquement, le fait de plaider l’article 8 afin de protéger le droit à la vie privée n’était pas vu comme très pertinent. Or, grâce à cette nouvelle décision, les travailleuses et travailleurs des institutions gouvernementales jouissent d’une protection constitutionnelle supplémentaire à leur droit à la vie privée.

Lorsqu’un employeur décide de porter atteinte au droit à la vie privée d’une personne salariée, par exemple en fouillant dans son matériel informatique, la Cour nous dit qu’il faut regarder l’ensemble des circonstances qui le motivent à agir. Quelle est la raison de la fouille? L’ordinateur lui appartient-il? Si l’ordinateur appartient à l’employeur, est-ce que l’employé s’attendait à ce qu’on respecte sa vie privée? Est-ce que l’attente de cet employé par rapport à sa vie privée était raisonnable? Les juges répondent que l’analyse dépend du contexte, mais aussi des pratiques et des politiques de l’employeur.

Ainsi, si un employeur tolère que ses employées et employés utilisent un ordinateur à des fins personnelles, ces personnes peuvent s’attendre à une meilleure protection de leur droit à la vie privée.

De plus, lorsqu’un employeur décide de fouiller dans l’ordinateur d’une employée ou d’un employé, il ne peut le faire de manière abusive. Chaque cas est un cas particulier, et il faut tenir compte du droit à la vie privée, des droits de la direction, des termes de la convention collective et de la mise en balance des différents intérêts.

 

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