Société

Comment retrouver le sentiment de sécurité?

28 juin 2024

Augmentation de comportements violents et diminution du sentiment de sécurité sont constatées depuis quelques années au Québec. Ces situations engendrent une montée des tensions sociales et une perte de confiance envers les institutions. Devant ces constats, que devrions-nous faire? 

Par Lise Goulet, conseillère CSQ | Photos : Pascal Ratthé

Voilà les enjeux qui ont été abordés par les deux conférencières invitées au Congrès de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), Mariève Pelletier, professeure à l’École de counseling et d’orientation de l’Université Laval, et Nathalie Guay, directrice générale de l’Observatoire québécois des inégalités, dont la Centrale est partenaire.

Les violences au travail

Dans un premier temps, Mariève Pelletier a abordé les violences au travail, un sujet qui n’a laissé personne indifférent.

D’entrée de jeu, la conférencière a précisé qu’il existe depuis 2019 un tout nouveau traité international reconnaissant le droit à un monde du travail exempt de violence et de harcèlement (convention n°190 de l’Organisation internationale du travail (OIT)). Ce traité reconnaît les effets néfastes de la violence sur l’organisation du travail, les relations au travail, la motivation, la productivité et la réputation de l’entreprise.

Elle a présenté la définition de la violence et du harcèlement au travail retenue par le Bureau international du travail (BIT) et brossé un portrait du phénomène plutôt préoccupant, selon des données de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) :

  • Plus des trois quarts des lésions attribuables à la violence physique sont survenues en 2022 dans le secteur des soins de santé et d’assistance sociale (54,4 %) ainsi que dans celui de l’enseignement (22,5 %);
  • Les femmes, qui ne représentent que 47,7 % des personnes ayant un travail, ont subi 73,8 % des lésions de violence physique et 65,7 % des lésions de violence psychique en 2022. 

Ne pas banaliser

Mariève Pelletier a poursuivi en précisant que la violence et le harcèlement au travail se situent à l’intersection de facteurs individuels (subjectifs) et de facteurs collectifs (organisation du travail) et que « tant que les facteurs organisationnels et les autres causes sous-jacentes de la violence et du harcèlement sur le lieu de travail ne seront pas traités, la violence et le harcèlement continueront à poser un problème dans le monde du travail ». Elle a insisté sur l’importance de changer la culture organisationnelle. La banalisation et la normalisation de la violence et la peur de dénoncer doivent cesser.

 

Mariève Pelletier

Les travailleuses et travailleurs à statut précaire seraient plus susceptibles d’être victimes de violence. Parce que ces personnes ne connaissent souvent pas leurs droits, qu’elles sont souvent moins bien protégées (non syndiquées) et qu’elles craignent de perdre leur emploi, elles ont également tendance à ne pas dénoncer les situations problématiques.

Bien sûr, certains dilemmes éthiques peuvent se poser, notamment lorsque la personne qui agresse est un enfant, lorsque la victime nous supplie de ne rien dire ou lorsque l’on sait que la personne qui harcèle vit des choses difficiles à la maison. Toutefois, ne rien dire et ne pas agir fait en sorte que la violence demeure invisible et ne peut pas être enrayée.

Enfin, certains risques psychosociaux dans le milieu de travail (charge élevée et pression, manque de personnel, inaction du gestionnaire) peuvent engendrer de la violence et du harcèlement qui augmenteront ces risques.

En somme, Mariève Pelletier est d’avis qu’il est nécessaire d’agir, car la violence ne disparaîtra pas d’elle-même, bien au contraire. Comment? En adoptant une approche en santé et sécurité du travail inclusive, intégrée et tenant compte des considérations de genre, en se servant des conventions collectives en complément des mesures juridiques et politiques, en développant des orientations et des outils adaptés aux différents contextes de travail et de types de violence et, finalement, en documentant le phénomène afin de soutenir les autorités publiques et les partenaires sociaux et d’améliorer les réponses juridiques et politiques.

L’égalité des chances

Dans un deuxième temps, la conférence offerte pendant le Congrès s’est penchée sur les liens entre l’égalité des chances et la confiance envers les institutions. Le propos de la conférencière, Nathalie Guay, se résume ainsi :

  • L’insécurité des gens et certaines défaillances dans la société alimentent la crise de confiance dans les institutions.
  • La réduction des inégalités est une clé importante pour accroître le sentiment de sécurité et réduire la violence.
  • Des solutions existent pour réduire ces inégalités, notamment à travers les services publics, qui jouent un rôle capital en ce sens.

 

Nathalie Guay

Quelques données illustrent la perte de confiance actuelle : 57 % des Québécoises et Québécois craignent que les élues et élus tentent délibérément de tromper les gens en disséminant de l’information erronée ou largement exagérée. Cette crainte augmente à 58 % envers les journalistes.

La perte de confiance dans les institutions est directement liée à la croissance des inégalités socioéconomiques, d’après Nathalie Guay. Or, la part de revenu après impôt détenue par la classe intermédiaire au Québec (soit 50 % de la population) ne cesse de diminuer.

Les sources de l’insécurité

La conférencière a expliqué que le sentiment d’insécurité est lié à ce que nous éprouvons face à notre propre sécurité. Tout est une question de perception du danger, de ses conséquences et des moyens d’y faire face, de façon individuelle et collective.

Les sources d’insécurité sont multiples :

  • Insécurité résidentielle (inabordabilité, insalubrité, évictions, itinérance, etc.);
  • Insécurité alimentaire (pouvoir d’achat, désert alimentaire, enjeux d’accès, etc.);
  • Insécurité financière (salaire, opportunités d’emploi, programmes sociaux, etc.);
  • Insécurité sanitaire, sociale, numérique, environnementale, etc.

L’analyse du parcours des inégalités permet de saisir toute la complexité sociale de cet enjeu. Il existe des inégalités d’origine sociale, scolaire, culturelle, économique, de santé, de conditions de vie et de pouvoir. Ces inégalités sont interdépendantes. Elles s’accumulent, génèrent des boucles de rétroaction, se reproduisent et peuvent être intersectionnelles. Leurs conséquences individuelles et sociales s’inscrivent et alimentent un cercle vicieux. Malheureusement, bien des gens ne sont pas outillés pour y faire face, ce qui peut devenir source de frustration et de violence.

Les leviers pour lutter contre les inégalités sociales sont connus. Pensons à l’action syndicale, à l’implication communautaire et à l’intervention de l’État pour resserrer les mailles du filet social (par le biais de nos services publics, de politiques de redistribution de la richesse, de programmes sociaux et de politiques et de mesures antidiscrimination).

En somme, pour recouvrer notre sentiment de sécurité et rebâtir notre confiance envers les institutions, il faut briser la transmission intergénérationnelle des inégalités ou leur reproduction et resserrer les mailles de notre filet social.

Des pistes d’action nombreuses

Nos congressistes avaient beaucoup de choses à dire sur les sujets abordés lors de la conférence. Les questions et les propositions d’action ont été nombreuses. Les témoignages sur la violence vécue dans les milieux de travail sont fort préoccupants. Un constat ressort clairement des échanges : il est urgent d’agir, tous ensemble!

 

Parmi les pistes d’action proposées par les congressistes, mentionnons, notamment, la mise en place d’un sondage national sur la violence pour mieux documenter la problématique et illustrer concrètement l’ampleur de celle-ci; la production d’outils interactifs pour évaluer une situation et savoir comment agir; l’établissement d’une liste détaillée des recours et des procédures à suivre; la révision et l’uniformisation des formulaires existants; la reconnaissance de la banalisation de la violence comme une forme de violence; l’implantation d’une culture de prévention; le soutien postévénement pour les personnes concernées; une plus grande mobilisation de l’équipe-école; la mise en place de services externes publics de soutien psychologique ainsi que l’exercice du droit de refus.

Finalement, deux constats se dégagent de cette conférence : l’insécurité et la violence sont de plus en plus présentes dans nos milieux de travail et dans nos vies, et notre sentiment de sécurité individuel serait en fait un enjeu collectif, car les causes et les conséquences de l’insécurité ambiante sont systémiques.

La solution devra donc être, elle aussi, collective. Nous retrouverons notre sécurité et notre confiance en reconstruisant notre filet social et en rétablissant notre solidarité.