La Centrale des syndicats du Québec est fière d’avoir été au cœur d’une longue bataille visant la syndicalisation des responsables en services éducatifs en milieu familial. Cette lutte a duré près de 10 ans et a mené à une victoire juridique, syndicale et sociale, améliorant de façon notable les conditions de travail de milliers de personnes, principalement des femmes.
Octobre 2018 est une date importante pour la CSQ puisque cette date souligne ne grande victoire juridique, syndicale et sociale, soit la syndicalisation des responsables de services éducatifs en milieu familial (RSE), autrefois appelées responsables de services de garde en milieu familial (RSG).
Afin de mieux comprendre le long parcours qui a mené à cette victoire, voici un petit rappel historique.
1979 : premier règlement sur la garde à domicile
C’est en 1979 que la garde à domicile est reconnue officiellement par le gouvernement par un premier règlement concernant les RSE. Ces dernières, qu’on désignait encore comme des « gardiennes d’enfants », étaient considérées comme des travailleuses autonomes, ce qui les excluait des protections sociales offertes à toutes les personnes salariées couvertes par la Loi sur les normes du travail, elles n’avaient pas le droit non plus de se regrouper afin de se syndiquer. Malgré leur statut de travailleuses autonomes, elles étaient toutefois dépendantes des agences de services de garde régionales qui veillaient à ce qu’elles respectent le règlement les concernant, essentiellement tout ce qui touche à la sécurité des enfants.
Ce serait un euphémisme de dire que les prestataires de services de garde à domicile n’avaient pas les meilleures conditions de travail. En 1996, le salaire moyen d’une RSE était de 13 700 $ par année, salaire qui couvrait l’achat de jouets, de nourriture pour les enfants, d’assurances et d’équipements. De plus, les RSE n’avaient pas accès aux jours fériés, aux absences pour maladie ou responsabilité parentale ou aux congés parentaux.
1997 : politique familiale du Québec
En 1997, le paysage des services éducatifs à la petite enfance s’est grandement modifié avec la politique familiale qui crée le ministère de la Famille et de l’Enfance, et instaure les centres de la petite enfance et les places à contribution réduite (5 $ par jour à l’époque). C’est également en 1997 que le terme « Responsable de services de garde éducatifs à la petite enfance » (RSG) a été introduit. Bien que le terme RSG soit encore utilisé dans la loi, nous préférons utiliser le terme RSE, ou responsable de services éducatifs en milieu familial pour valoriser leur contribution à l’éducation des tout-petits et pour bien marquer le fait qu’il s’agit de services éducatifs et non de « garde » d’enfants. Les CPE nouvellement créés se sont vu confier la responsabilité de superviser le travail des RSE, qui sont des travailleuses autonomes, en plus des éducatrices en installation, qui elles, sont salariées.
La politique familiale du Québec a permis de nombreuses avancées au Québec. Elle a eu un effet immédiat sur les demandes de places en services de garde et sur le travail des femmes. Les RSE ont été reconnues comme faisant partie intégrante des services éducatifs à la petite enfance et non plus considérées comme des « gardiennes d’enfants ». Par contre, elles ont dû faire face à un resserrement de l’encadrement à leur égard, notamment sur les tarifs exigés des parents (5 $ par jour), et sur l’organisation du travail.
De 1997 à 2008 : bataille pour la reconnaissance des droits des RSE
Dès 1997, la CSQ considère que la nouvelle Loi sur le ministère de la Famille et de l’Enfance et modifiant la Loi sur les services de garde à l’enfance pourrait faire en sorte que les RSE soient désormais considérées comme des salariées des CPE. Ce fut le début d’une démarche longue et ardue afin que les RSE obtiennent la reconnaissance légale pour négocier leurs conditions de travail.
En 2000, la CSQ appuiera, lors de la révision du Code du travail, les demandes d’extension du statut de salarié aux travailleurs autonomes dépendants. En 2001, le gouvernement ne retient pas cette demande, ce qui provoquera, du côté syndical, une vague de requêtes en accréditation syndicale (57 requêtes de 2001 à 2003 pour 780 RSE). Cette syndicalisation était ardue. D’une part, les RSE se faisaient dire par les CPE et par le ministère qu’elles ne pouvaient pas se syndiquer. D’autre part, pour la CSQ, il fallait faire du cas par cas, faire adhérer les RSE à l’ADIM-CSQ, et ce, maison par maison, déposer des requêtes en accréditation syndicale, faire la preuve devant le Bureau du commissaire général du travail du lien de subordination entre le CPE et la RSE, etc.
Ces demandes ont été contestées par les CPE et par l’État devant le Bureau du commissaire général du travail et devant le Tribunal du travail, les principaux arguments étant que les RSE ne sont pas des salariées et que le CPE n’est pas le véritable employeur.
En 2002, le commissaire du travail Jacques Vignola rend une décision en faveur de l’ADIM-CSQ déclarant que les RSE sont bien des salariées et les CPE, leur employeur. Ce jugement sera renforcé la même année par un jugement de la juge Handman du Tribunal du travail confirmant le jugement Vignola.
Le gouvernement porte en appel ces jugements devant la Cour supérieure du Québec, mais Jean Charest n’attendra pas le jugement et impose en 2003, sous le bâillon, le projet de loi no 8 qui réitère que le CPE n’est pas un employeur et que les RSE ne sont pas des salariées. Concrètement, ce projet de loi soustrayait les RSE de l’application du Code du travail, les soustrayant par le fait même de la Loi sur les normes du travail, de la Loi sur la santé et sécurité au travail, de la Loi sur l’équité salariale et de la Loi sur l’assurance-emploi.
Nos services juridiques CSQ n’ont pas attendu pour contester la constitutionnalité du projet de loi no 8 devant la Cour supérieure du Québec et pour déposer une plainte devant le Bureau international du travail pour « violation des conventions internationales sur la reconnaissance des droits syndicaux ». Pour la CSQ, sans l’accès au Code du travail, l’exercice de la liberté syndicale, qui est au cœur de la liberté d’association garantie par la Charte canadienne des droits et libertés et reconnue par la Cour suprême, est impraticable et vide de sens.
En 2005, un autre projet de loi vient transformer le paysage des services éducatifs à la petite enfance, soit le projet de loi no 124 créant les bureaux coordonnateurs de la garde en milieu familial. Ces structures territoriales sont créées afin de superviser les RSE.
31 octobre 2008 : jugement Grenier, une victoire syndicale
Il aura fallu 5 ans pour voir la conclusion des poursuites intentées par la CSQ sur l’inconstitutionnalité du projet de loi no 8. Le 31 octobre 2008, la juge Danielle Grenier de la Cour supérieure du Québec déclarera :
La Loi modifiant la Loi sur les centres de la petite enfance et autres services de garde à l’enfance (L.Q. 203, c-13), sanctionnée le 18 décembre 2003 est inconstitutionnelle, invalide et sans effet parce que contraire à l’alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés et de l’art. 3 de la Charte des droits et libertés de la personne.
Le gouvernement, alors en pleine campagne électorale, décide de ne pas porter la cause en appel. C’est donc dans la foulée du jugement Grenier qu’est née, en 2009, la Loi sur la représentation de certaines personnes responsables d’un service de garde en milieu familial et sur le régime de négociation d’une entente collective les concernant et modifiant diverses dispositions législatives, qu’on appelle la loi 51.
Les RSE peuvent enfin négocier collectivement leurs conditions de travail, être compensées pour des congés alloués en vertu de la Loi sur les normes du travail et ont la possibilité, par le versement de protections sociales, de participer à divers régimes, dont la Loi sur l’assurance parentale, la Loi sur le régime des rentes du Québec et la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Au sens de la loi, les RSE conservent leur statut de travailleuses autonomes, elles ont toutefois un statut hybride puisqu’elles ont désormais accès à des protections légales et sociales auxquelles les personnes salariées ont droit.
Une grande victoire sociale, juridique et syndicale, mais une lutte à poursuivre
Le jugement Grenier a été un moment marquant dans l’histoire de la FIPEQ et de la CSQ. La bataille ayant mené à la syndicalisation des RSE a été longue et ardue, mais elle a porté fruit grâce à la ténacité des RSE et à la solidarité des éducatrices en CPE de la FIPEQ qui les ont accueillies et appuyées dans cette longue démarche. Cette victoire n’aurait pas été possible non plus sans l’aide de la CSQ qui a travaillé sans relâche afin que justice soit rendue.
La syndicalisation des RSE est aussi une grande victoire sociale et féministe. En voulant exclure les responsables de services éducatifs à la petite enfance des protections garanties par les lois sociales, le gouvernement perpétuait le stéréotype selon lequel la garde à domicile n’était pas un vrai travail, mais un prolongement des tâches domestiques considérées « féminines » ou « naturelles » pour les femmes.
Un grand chemin a été parcouru depuis 10 ans, mais la lutte se poursuit.
En effet, la Loi sur la représentation de certaines personnes responsables d’un service de garde en milieu familial et sur le régime de négociation d’une entente collective les concernant a fait progresser les droits des RSE, mais elles ont dû faire face, dans les dernières années, à certaines limites dans son application :
- Les sujets de négociation sont limités dans ce régime-cadre particulier adopté pour ce secteur particulier. En effet, il n’a pas été possible jusqu’à maintenant de négocier certaines conditions d’exercice sous prétexte qu’il s’agit de règle ou norme déjà établies dans la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance. Or, de nombreuses conditions d’exercice du travail de RSE sont déterminées par la loi, comme les visites des milieux, les conditions de renouvellement, le traitement des plaintes provenant des parents, etc.
- Peu de mécanismes permettant l’établissement d’un rapport de force à la table de négociation : pas d’arbitrage obligatoire de première convention collective, pas de disposition anti-briseur de grève;
- Pas d’accès à la Loi sur l’équité salariale, mais possibilité de négocier une rétribution juste et équitable sur laquelle le Ministère n’a pas démontré beaucoup d’ouverture à s’entendre lors des dernières négociations.
De plus, les RSE ont dû composer avec la modulation des frais de garde, conjuguée avec l’instauration de crédits d’impôt anticipés pour les familles utilisant des services de garde privés, deux mesures instaurées par le gouvernement Couillard.
Ces mesures ont entraîné une importante privatisation des services de garde, une diminution du nombre d’enfants fréquentant les services régis et subventionnés et, par conséquent, du nombre de RSE dans le réseau.
Plus récemment, le gouvernement libéral a imposé aux RSE d’adhérer au guichet unique de places en services de garde, moyennant des frais d’adhésion au guichet et des frais annuels pour les places offertes, que les places soient comblées ou non. D’autre part, les RSE se voient imposer depuis dix ans de plus en plus de normes de qualité et de contraintes administratives sans que le travail qu’elles font ne soit davantage valorisé par le ministère de la Famille.
En contrepartie, un réseau parallèle de gardiennes privées non syndiquées prend de l’ampleur, encouragé par l’absence quasi totale de normes. Pourtant, ce réseau est largement subventionné par l’État via des crédits d’impôt versés aux parents.
Malheureusement, il semble que les attaques répétées du gouvernement dans le réseau de la petite enfance, la précarité d’emploi, la perte d’enfants vers le secteur privé, les longues heures de travail ont engendré une certaine démobilisation et la division entre les intervenantes du réseau.
Beaucoup d’énergie doit être consacrée à convaincre les RSE qu’il vaut mieux demeurer unies et solidaires afin de mieux faire face au nouveau vent de droite qui souffle sur le Québec.
Conclusion et perspectives
Il y a dix ans, la CSQ et les RSE ont fait un pas de géant dans l’histoire du droit d’association et du droit à l’égalité. Malheureusement, le régime demeure imparfait et la lutte devra se poursuivre dans les prochaines années. La bonne nouvelle est que le droit d’association fait couler beaucoup d’encre depuis vingt ans dans le monde juridique. Certaines décisions plus récentes des tribunaux viennent clarifier la portée du droit d’association et, dans certains cas, élargir ce droit fondamental.
La prochaine ronde de négociations qui débutera à l’hiver 2019 entre les RSE et le ministère de la Famille sera l’occasion de vérifier la volonté réelle du Ministère de négocier avec nos membres RSE des éléments substantiels de leurs conditions de travail.
Nous pourrons au besoin rappeler au Ministère que :
- le droit d’association protège le droit des travailleuses de participer à un véritable processus de négociation collective relatif à leurs conditions de travail.
- la législation ne devrait pas limiter indûment les sujets pouvant être l’objet de négociation ni interdire l’action collective;
- les restrictions législatives au champ du négociable ne doivent pas constituer une entrave substantielle à la liberté d’association.
En définitive, notre solidarité nous a permis il y a dix ans d’obtenir un jugement favorable pour des milliers de travailleuses du Québec. Il y a fort à parier que notre solidarité nous permettra de faire un pas de plus pour améliorer la qualité de vie de ces femmes dans les prochaines années. La lutte juridique, à la table de négociation et sur le terrain, ne sera pas simple, mais ensemble, nous pouvons la mener à bien et obtenir des résultats concrets pour ces femmes qui, il n’y a pas si longtemps, luttaient seules dans leur maison contre l’arbitraire de leur bureau coordonnateur.
Le milieu familial public, régi et subventionné est une des pierres d’assise du réseau des services éducatifs à la petite enfance au Québec. Reconnaître et valoriser le travail des femmes qui y travaillent ne peut qu’avoir des effets bénéfiques sur les tout-petits et sur la société.