À ne pas manquer, Éducation
Enseigner dans ses valises
16 avril 2024
La réalité des enseignantes et enseignants spécialistes en arts plastiques à statut précaire était très particulière et peu documentée… jusqu’à maintenant!
Par Mélanie Fortier, conseillère FSE-CSQ
Lauréate d’une des trois Bourses Laure-Gaudreault 2022-2023 et enseignante en arts plastiques depuis 2016, Karine Blanchette a récemment présenté son projet de mémoire de maitrise aux membres du conseil fédéral de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ).
Sujet peu exploité jusqu’à maintenant dans la recherche en éducation, son mémoire présente des constats fort éclairants concernant le personnel enseignant spécialiste en arts plastiques à statut précaire. Sa présentation a reçu un accueil chaleureux et intéressé par les membres du conseil fédéral de la FSE-CSQ.
Cette étude de cas exploratoire vise à mettre en lumière les intersections entre le statut d’emploi précaire et la pratique enseignante de spécialistes en arts plastiques au primaire. Celle-ci sert le double objectif de documenter certaines de leurs pratiques tout en contribuant aux connaissances sur la précarité d’emploi en milieu scolaire.
Histoire de (l’enseignement de) l’art
Le mémoire de maitrise se penche sur l’histoire de l’enseignement de l’art au Québec, identifiant au passage les éléments qui en ont façonné la pratique et qui expliquent la trajectoire évolutive de la relation entre l’école publique et l’art.
En 1987, la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ) a mené une étude qui faisait déjà ressortir la fragilité de l’enseignement par des spécialistes en art, relégué au second plan. Les écoles attribueraient généralement l’éducation physique et la langue seconde aux spécialistes et relégueraient l’art aux titulaires.
Un document du Conseil supérieur de l’éducation de 1988 cité dans le mémoire dégage aussi un constat qui ne dépayserait pas les spécialistes d’aujourd’hui : lorsque les spécialistes en art accèdent à une tâche, ils sont confrontés à des enjeux organisationnels au sein du système scolaire qui les empêchent d’appliquer le programme, notamment en raison du nombre d’élèves et de groupes, des déplacements entre les écoles ainsi que du morcellement des périodes d’enseignement.
L’auteure trace le fil entre le personnel enseignant laïc embauché sur une base annuelle, au gré des envies des écoles, et les enseignantes et enseignants spécialistes en arts plastiques au primaire contemporains. Ce qui unit ces personnes séparées par près de sept décennies ? La précarité qui caractérise leur pratique et la perception que leur matière est dévalorisée par rapport aux autres spécialités.
Désavantage aux arts plastiques
Un des constats du mémoire : les spécialistes en arts plastiques du primaire sont désavantagés par la rareté et le fractionnement des tâches. Contrairement aux titulaires, le nombre d’heures d’enseignement des spécialités est moins élevé, ce qui confine les spécialistes à des tâches à temps partiel ne permettant pas l’accès à la permanence.
Moins il y a de groupes dans une école, moins les spécialistes enseignent. C’est sans compter sur la variabilité de la durée des périodes puisque celles de 60 minutes entrainent un plus grand pourcentage de tâches que les périodes de 45 minutes. Conséquence de la rareté des tâches, beaucoup de spécialistes se voient confier des cours dans plus d’une école et doivent donc enseigner « dans leurs valises ». Qui plus est, ces ajouts sont rarement permanents et mènent à une plus grande instabilité. Surtout que plus d’écoles signifie plus d’évaluations dans le cas du personnel enseignant à contrat. Cela peut entrainer un stress supplémentaire qui s’ajoute à celui de la précarité.
Suivre les enseignantes et enseignants sur le terrain
Dans sa recherche, Karine Blanchette décrit le parcours professionnel, la conception de l’enseignement, la pratique ainsi que la perception de la précarité de trois de ces enseignants spécialistes. Chacun des cas est analysé individuellement, puis mis en relation avec les autres afin d’en dégager les similitudes et les spécificités.
Les résultats de cette démarche révèlent plusieurs incidences entre la précarité et la pratique enseignante des personnes participant à l’étude, et ce, autant dans sa dimension interne (valeurs, objectifs) qu’externe (actes observables).
Il appert que les différentes incidences s’articulent autour d’une série de paradoxes qui se regroupent selon les pôles suivants : performance/épuisement, contrôle/impuissance, plaire/s’affirmer, s’attacher/se distancier ainsi que la continuité/recommencement. L’ensemble permet de former un portrait à la fois dense et nuancé de la situation de précarité à travers les yeux des individus qui la vivent.
Pour les personnes qui souhaiteraient consulter le mémoire de madame Blanchette, celui-ci est disponible sur la plateforme d’archive de publications électroniques de l’UQAM, Archipel.