Action féministe
La socialisation, un frein à une réelle égalité
7 mars 2024
Les mythes entourant l’idée de l’égalité atteinte entre les femmes et les hommes ont la couenne dure et des racines plus profondes que nous ne pourrions le croire. C’est le dur constat qu’ont partagé les participantes et intervenantes du dernier réseau d’action féministe de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ).
Par Félix Cauchy-Charest, conseiller CSQ
Invitée à participer à l’évènement, la professeure de sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et pionnière des études féministes, Francine Descarries, a animé une discussion autour des effets pernicieux de la socialisation de genre, qui trouvent leur origine bien avant la naissance et se poursuivent tout au long du parcours des femmes, tant dans leur vie personnelle que professionnelle.
Un cours de maitre par une sommité en la matière
Le temps de sa présentation fort appréciée, Francine Descarries a su faire le lien entre l’enracinement profond que la socialisation genrée peut avoir sur la vie des femmes et son influence sur les choix individuels, collectifs et les structures qui régissent les rapports sociaux, économiques et politiques.
Le développement de ces biais cognitifs est bien enchâssé dans la culture et les traditions. À titre d’exemple, Francine Descarries mentionne les qualificatifs attribués aux poupons : les filles sont « jolies », « mignonnes » et « gentilles », tandis que les garçons sont plutôt « grands », « solides » et « énergiques ».
Cette différence se poursuit même dans l’acquisition du vocabulaire par les enfants de 18 à 30 mois. Chez les garçons, on retrouve plus de mots liés aux moyens de transport (« vroum » arrive au troisième rang!), alors que dans les mots connus par les filles, « doux », « aimer » et « s’il vous plaît » sont souvent répétés. La façon dont les adultes s’adressent aux filles et aux garçons diffère également et a un effet durable sur leur construction identitaire.
Un « prêt à penser féminin »
D’après le sociologue Guy Rocher, selon ce que rapporte Francine Descarries, la construction identitaire individuelle et sociale passe par l’acquisition de la culture, l’incorporation des normes, des valeurs, des savoirs et des pratiques ainsi que par l’intégration et l’adaptation au milieu. Tous ces éléments participent au processus de socialisation.
« [Celle-ci] façonne les différences. Comment la société s’organise pour produire les conditions d’inégalités et pour laisser croire qu’il y a une logique à structurer l’organisation sociale à partir de l’arbitraire de la division des sexes? », questionne la professeure. Résultat : on se retrouve, selon elle, avec une sorte de « prêt-à-penser féminin » où ce dernier se retrouve constamment en opposition binaire avec le masculin, institué en identité par défaut de l’humanité. Ce conditionnement en vient à façonner les représentations que filles et garçons se font d’eux-mêmes ainsi que le champ des possibles qui leur est ouvert… ou fermé.
Ainsi, les rôles du « prendre soin », attribués aux filles dans les premières instances de socialisation, poussent les garçons à poser un certain regard sur les femmes et leur place sur l’échiquier social.
Les compétences invisibles des femmes
Cette opposition binaire complètement arbitraire finit par reléguer les domaines féminins à l’arrière-plan de la société et par rendre invisibles les exigences et les compétences requises pour exercer ces rôles.
Francine Descarries explique que cela a entrainé une sous-évaluation historique des métiers féminins, une sous-évaluation qui engendre des répercussions encore aujourd’hui, comme en fait foi l’écart salarial entre les métiers traditionnellement féminins dans le domaine de la santé, comme les infirmières ou les sagefemmes, et les métiers masculins, par exemple, les médecins.
Du chemin reste à parcourir
« L’égalité de fait n’est pas encore atteinte, affirme la professeure. Pour y parvenir, il faudrait une transformation sociale majeure et une articulation de la conciliation famille-travail conjointement à l’accès des femmes au marché du travail. »
Aujourd’hui, il existe encore un écart entre la rémunération des femmes et des hommes. Cet écart se creuse tout au long de la vie et est accentué par les évènements de vie des femmes (grossesse, prendre soin de proches malades, charge mentale, etc.). Les femmes ne représentent encore que 30 % des cadres de la haute direction des entreprises. En plus, les professions à prédominance féminine n’offrent pas autant de possibilités de progression et de promotions.
Démanteler le système
Il existe encore un plafond de verre et des boys’ clubs, des structures qui reproduisent les préjugés, le sexisme ordinaire ou inconscient et qui reconduisent les différences de traitement, déplore Francine Descarries. Selon elle, la disparition de ces modèles et des pratiques qui en résultent ne pourra avoir lieu qu’avec l’expression d’une volonté sociopolitique explicite d’apporter les correctifs nécessaires.
« Le milieu du travail devra s’adapter aux femmes, sans adopter les caractéristiques masculines, mais en se désocialisant », dit-elle.