Négociation

Secteur public : une négociation qui intéresse le milieu de la recherche

15 décembre 2023

Il n’est pas rare que les négociations du secteur public soient scrutées par les chercheurs en relations industrielles ou en droit du travail une fois la poussière retombée. Ce qui est moins fréquent, toutefois, c’est de voir le milieu de la recherche analyser à chaud les échanges entre l’État et ses salariées et salariés, ce qui est le cas en ce moment.

Par Félix Cauchy-Charest, conseiller CSQ

Mélanie Laroche

Le Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT) a récemment organisé un webinaire pour mieux comprendre les négociations du secteur public. Ouvert au public, cet évènement a suscité l’intérêt de Ma CSQ cette semaine, qui s’est entretenue avec une des conférencières, la professeure titulaire à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, Mélanie Laroche.

MA CSQ CETTE SEMAINE (MCCS) : QU’EST-CE QUI A POUSSÉ LE CRIMT À ORGANISER CE WEBINAIRE? 

MÉLANIE LAROCHE (ML) : Nous étions beaucoup interpelés par les médias et nous voulions être en mesure de dépasser le contenu des courtes entrevues que nous avons données et de nous laisser du temps et de l’espace pour aller plus loin dans les analyses plus macro. Il y a dans la négociation actuelle des enjeux plus globaux, au-delà du ton et des positions aux tables. 

MCCS : QU’EST-CE QUI CARACTÉRISE CETTE NÉGOCIATION SELON VOUS ? 

ML : On se retrouve devant un mouvement de grève assez unique. Il y a d’abord le contexte inflationniste qui fait en sorte que les revendications salariales sont plus élevées. Ensuite, le gouvernement a déposé des offres qui reflètent un manque de reconnaissance de la valeur des métiers féminins du secteur public. Après avoir applaudi ces femmes durant la pandémie et les avoir qualifiées « d’anges gardiens », voilà qu’il leur offre des augmentations qui les confinent à un appauvrissement certain. Ça manque de cohérence. 

Il y a aussi l’exode des travailleuses et des travailleurs des réseaux. C’est observable et démontrable : les gens quittent les professions en santé, en éducation, etc. Il y a là un appel à l’urgence afin de régler les problèmes et d’offrir de meilleures conditions de pratique. Le gouvernement a sous-estimé, à mon sens, l’exaspération des travailleuses face à ces conditions de travail qui se dégradent. 

MCCS : AVONS-NOUS ATTEINT LA FIN DE CETTE LOGIQUE NÉOLIBÉRALE D’OPTIMISATION, DE RATIONALISATION ET « D’EFFICIENCE » ? 

ML : On le verra avec les résultats de la négociation collective. Chose certaine, les demandes du gouvernement s’inscrivent exactement dans cette lignée. En parlant de flexibilité et de souplesse, l’employeur tente de cacher son contrôle, ce qui crée de l’insécurité chez les travailleuses. Avec les manifestations monstres, les travailleuses et les travailleurs sont en train de dire au gouvernement qu’il y a un seuil à ne pas dépasser. Si le système a tenu bon jusqu’à maintenant, c’est grâce au professionnalisme des gens qui travaillent dans les réseaux. 

Ce conflit marque une limite. Les conditions de travail que le gouvernement veut imposer ne permettent pas aux travailleuses et aux travailleurs d’exercer leur métier de la façon dont ces derniers pensent qu’ils devraient l’exercer pour qu’il soit de qualité. Ça vient heurter de plein fouet la conscience professionnelle, l’autonomie professionnelle, c’est donc normal qu’il y ait un aussi gros conflit. 

MCCS : ON SENT BEAUCOUP L’APPUI DE LA POPULATION AUX REVENDICATIONS DES TRAVAILLEUSES ET TRAVAILLEURS, EST-CE QUE CELA INFLUENCE LE CONTEXTE ?

ML : C’est certain ! La pandémie a mis en lumière la richesse du travail des employées et employés de l’État. Les services de santé, l’éducation, les cégeps, c’est vraiment un investissement parce que ça permet à la société québécoise de continuer à tenir, puis de se démarquer sur la scène internationale. Je pense que la population le comprend.

Le contexte inflationniste joue pour beaucoup aussi dans la perception qu’ont les gens des offres patronales. Tout le monde est bien d’accord pour dire que ça prend des augmentations qui ont du bon sens.

En 1972, ce qui avait caractérisé le premier front commun, c’était une prise de conscience collective de la nécessité d’avoir des services publics accessibles et de qualité au Québec. C’est ce qui allait nous démarquer comme société et qui allait permettre à tout le monde d’avoir une éducation, de créer une nation bien éduquée, bien formée, afin d’attirer des entreprises. Je pense que ça, ça se réaffirme dans le conflit actuel.

MCCS : CE SERAIT DONC UN RETOUR À CETTE SOLIDARITÉ SOCIALE DANS NOS CHOIX POLITIQUES COLLECTIFS ? 

ML : Les gens se sont aperçus que des promesses de baisses d’impôt et des chèques de 100 $, ce n’est peut-être pas la solution au Québec. On ne fait pas grand-chose, individuellement, avec 100 $, qui nous est offert comme un cadeau. 

Je pense que les Québécois ont refait leur choix. On le voit dans la chute de la popularité de la CAQ. On ne peut pas avoir une approche comptable avec les services publics, on ne peut pas juste vouloir diminuer les couts dans les services publics. La population rejette cette approche. Ce qu’elle demande, ce sont des services publics de qualité. Ce conflit aura permis de réaffirmer ce choix de société. 

MCCS : LA SOLIDARITÉ SYNDICALE AUSSI EST AU RENDEZ-VOUS, EST-CE QUE LA STRATÉGIE SYNDICALE FAIT LE POIDS FACE À CELLE DU GOUVERNEMENT ? 

ML : La stratégie du gouvernement, c’est la division par les offres différenciées, par l’avancement de certaines tables au détriment des autres, etc. Cela est paradoxal puisque sur le terrain, le travail se fait en équipe ! Selon moi, la seule stratégie pour contrer cette division, c’est un Front commun fort qui reste uni.

Le webinaire du CRIMT peut être écouté gratuitement en ligne.