Économie

Un plan d’action qui soulève des enjeux

26 juillet 2023

Rareté de la main-d’œuvre

En 2021, pour faire face à la rareté de la main-d’œuvre qui sévit, le gouvernement de François Legault réagit et dépose son Opération main-d’œuvre. Tour d’horizon de ce plan d’action et des enjeux qu’il soulève pour les travailleuses et travailleurs. 

L’Opération main-d’œuvre est déposée en novembre 2021, dans un contexte de reprise économique postpandémie. La rareté de la main-d’œuvre s’accentue alors au Québec : le nombre de postes vacants explose et le recrutement est difficile, notamment dans les services publics.

Dans son plan d’action, le gouvernement vise des secteurs prioritaires (santé, éducation, services de garde, technologie de l’information, génie et construction), ainsi que quatre grands leviers d’action.

1. L’immigration

Le gouvernement québécois, tout comme celui du Canada, se tourne vers l’immigration (permanente et temporaire) pour tenter d’atténuer la rareté de la main-d’œuvre.

Entre 2015 et 2019, soit avant la pandémie, on comptait chaque année en moyenne 50 000 personnes immigrantes permanentes au Québec. En 2022, le nombre a dépassé largement cette moyenne prépandémie, avec un peu plus de 68 600 personnes.

Cependant, c’est sur le plan de l’immigration temporaire que nous assistons à une véritable explosion du nombre de personnes immigrantes depuis quelques années. En 2022, il s’en est ajouté 86 000, portant l’effectif total présent au Québec à 338 500 au 1er janvier 2023.

Les enjeux liés à l’immigration

D’abord, l’immigration n’est pas une solution miraculeuse pour faire face à la rareté de la main-d’œuvre. En effet, s’ils haussent le bassin de travailleurs disponibles, les nouveaux arrivants et arrivantes consomment également des biens et des services, ce qui stimule en retour la demande de la main-d’œuvre.

De plus, considérant la position fortement minoritaire du Québec francophone dans un immense continent anglophone, une hausse importante de l’immigration ravive les inquiétudes sur la pérennité du français. Par exemple, le gouvernement fédéral, qui contrôle l’immigration temporaire, attribue beaucoup plus facilement les visas aux étudiantes et étudiants anglophones qu’à ceux francophones. Le Québec a également sa part de responsabilité, puisqu’il éprouve d’importantes difficultés dans ses efforts de francisation des populations immigrantes.

Finalement, le recours aux travailleuses et travailleurs étrangers temporaires ne s’avère pas une solution structurante à la rareté de main-d’œuvre. Les travailleuses et travailleurs issus du Programme des travailleurs étrangers temporaires sont pris dans des contrats de travail très contraignants, les liant à un employeur unique. Aussi, leurs conditions de travail sont parfois absolument déplorables.

L’immigration peut tout de même contribuer à pourvoir à une partie des besoins au cours des prochaines années.  Pour qu’elle soit une solution acceptable, il faudra cependant mettre l’accent sur l’immigration permanente, ou à tout le moins encadrer bien plus efficacement le recours aux travailleurs étrangers temporaires.

2. La formation

Les efforts du gouvernement en matière de formation reposent essentiellement sur deux types de mesures :  offrir des bourses pour certains programmes d’études et multiplier les formations courtes et accélérées.

Les enjeux liés aux bourses

Avec son Opération main-d’œuvre, le gouvernement crée des bourses (programme de bourses Perspective Québec) de 2 500 dollars par session pour certains programmes universitaires et de 1 500 dollars par session pour certains programmes collégiaux. De nouvelles bourses sont également offertes pour certains programmes d’études professionnelles.

Cette offre de bourses est évidemment bienvenue pour les programmes menant aux emplois offerts dans le secteur public. En revanche, elles ne doivent pas servir de substitut à l’amélioration des conditions de travail, notamment des salaires, pour ces emplois qui sont sous-valorisés et sous-payés.

Cette nouvelle offre de bourses comporte également son lot d’effets indésirables et de questionnements :

  • La liste des programmes admissibles est établie de façon arbitraire par le gouvernement.
  • Certains programmes ne sont pas admissibles à ces bourses, et des effets négatifs pourraient se faire sentir sur les inscriptions.
  • Les étudiantes et étudiants qui ne terminent pas le programme doivent, dans bien des cas, rembourser au gouvernement les sommes reçues.
  • Finalement, ces bourses ne sont pas accessibles pour les étudiantes et étudiants à temps partiel, ce qui limite leur efficacité pour requalifier la main-d’œuvre déjà active sur le marché du travail.

Les enjeux liés aux formations courtes et accélérées

Aux prises avec des pénuries pour plusieurs corps d’emplois du secteur public, le gouvernement a multiplié les formations courtes ou accélérées.

Par exemple, en santé et en services sociaux, la formation accélérée des préposées et préposés aux bénéficiaires se réalise en 375 heures plutôt qu’en 870 heures selon le parcours standard. Pour former des infirmières auxiliaires, on offre maintenant une formation accélérée de 14 mois plutôt que de 22 mois au rythme normal (1 800 heures dans les 2 cas).

Le gouvernement multiplie également les parcours permettant d’accéder à la profession enseignante. Pour ce faire, il a modifié le Règlement sur les autorisations d’enseigner ou il envisage d’y apporter plusieurs modifications. Certaines de ces modifications sont positives, alors que d’autres le sont beaucoup moins.

Si elles peuvent aider à rapidement pourvoir les postes offerts dans le secteur public, ces formations posent de nombreux enjeux et risques à ne pas sous-estimer.

Il y a d’abord le danger de dévaluer les professions ainsi que les formations « régulières » donnant accès à certaines professions. Il s’agit d’un risque bien réel. De plus, l’intégration et l’accompagnement par le personnel en place des personnes ayant suivi ces formations courtes et accélérées peuvent être plus exigeants, étant donné le parcours scolaire souvent allégé. Ensuite, les formations accélérées sont très exigeantes, ce qui cause un niveau élevé d’abandons et d’échecs.

Finalement, ces programmes, qui sont souvent accompagnés de bourses, posent un risque réel d’endettement ou de souci financier puisque les étudiantes et étudiants doivent souvent rembourser leurs bourses en cas d’abandon.

3. Le maintien en emploi des travailleuses et travailleurs âgés

Dans le budget de mars 2023, le gouvernement a présenté sa volonté de maintenir en emploi les travailleuses et travailleurs âgés du Québec.

Pour les tranches d’âge de 15 à 59 ans, le Québec affiche un taux d’emploi plus élevé que la moyenne canadienne et que l’Ontario. Ce fait s’explique en grande partie par une plus forte présence des femmes sur le marché du travail, favorisée en cela par les services de garde éducatifs subventionnés.

Cependant, la situation s’inverse pour les tranches d’âge des personnes de 60 ans et plus, et le gouvernement Legault aimerait bien réussir à hausser le taux d’emploi chez celles-ci. Il a mis en œuvre, ou tenté de mettre en œuvre, plusieurs mesures allant en ce sens.

Les enjeux liés au maintien en emploi des travailleurs et travailleurs âgés

Est-ce réellement une mauvaise chose que les personnes de 60 ans et plus travaillent moins au Québec qu’ailleurs au Canada? Il appartient à chaque personne de choisir ce qui lui convient le mieux.

Mettre en place des mesures incitatives afin de rendre plus avantageux le maintien en emploi ne pose pas de problème, tant qu’elles demeurent volontaires. Deux récentes modifications du Régime de rentes du Québec (RRQ) vont en ce sens. Ces mesures ne pénalisent en rien les personnes qui font le choix de prendre leur retraite. Même chose pour certaines mesures volontaires de rétention des employées et employés du secteur public.

Cependant, il en va tout autrement des mesures qui pénalisent les travailleuses et travailleurs afin qu’ils demeurent au travail plus longtemps. Récemment, dans le cadre d’une consultation, le gouvernement proposait de repousser l’âge minimal pour demander sa rente du RRQ, qui passerait de 60 ans à 62 ans. Dans la même veine, dans le cadre de la négociation du secteur public, le gouvernement propose actuellement de hausser l’âge minimal de la retraite, qui passerait de 55 ans à 57 ans, et de modifier les règles de calcul de la rente afin de retenir le personnel en emploi.

Ces mesures n’en sont pas de rétention, mais de détention! Ces propositions sont tout à fait déplorables et doivent être vigoureusement rejetées. Elles ne constituent pas une solution acceptable à la rareté de la main-d’œuvre.

4. L’intégration des personnes actuellement sous-représentées sur le marché du travail

Finalement, le dernier grand levier du gouvernement pour atténuer la rareté de la main-d’œuvre est de favoriser l’intégration sur le marché du travail des personnes qui y sont actuellement sous-représentées, comme les personnes issues de la diversité culturelle, handicapées ou autochtones, qui ont effectivement été traditionnellement moins présentes sur le marché du travail pour différentes raisons.

Les initiatives gouvernementales pour changer cet état de fait sont évidemment bienvenues.

En conclusion

Les difficultés causées par la rareté de la main-d’œuvre sont bien réelles et dureront un certain temps. Parmi les solutions proposées par le gouvernement, certaines sont intéressantes et d’autres posent problème ou sont carrément à rejeter.

Ces solutions doivent être évaluées en considérant d’abord leurs effets sur les travailleuses et travailleurs. Parmi les solutions à mettre en œuvre, l’amélioration des conditions de travail, notamment du salaire, dans les secteurs essentiels est assurément une voie à privilégier.

Texte : Érik Bouchard-Boulianne, conseiller CSQ