Au Québec, un élève sur cinq fréquentant une école primaire publique présente des difficultés d’adaptation ou d’apprentissage qui nécessiteraient des services éducatifs adaptés pour favoriser sa réussite scolaire et éducative. Or, les milieux éducatifs peinent à répondre aux besoins de ses jeunes en raison du manque de personnel professionnel et de soutien. L’offre de services est limitée, entre autres, par le financement disponible et par la manière dont celui-ci est attribué, révèle un rapport du Protecteur du citoyen publié en juin 2022. La Loi sur l’instruction publique garantit pourtant à chaque élève le droit à des services éducatifs complémentaires, et ce, gratuitement.

Kevin Roy

« Les besoins sont grands, mais les ressources ne suivent pas. Cela fait en sorte que plusieurs élèves tardent à recevoir des services ou même n’en reçoivent pas du tout. Des parents se sont déjà fait dire que les difficultés de leur enfant étaient moins importantes que celles d’autres élèves de la classe et qu’ils devaient attendre. Des élèves sont oubliés », déplore Kévin Roy, président de la Fédération des comités de parents du Québec (FCPQ), qui représente la grande majorité des comités de parents des centres de services scolaires et des commissions scolaires de la province.

Des disparités dans les services

Qui sont les élèves ayant des besoins particuliers? Il peut s’agir d’élèves en difficulté d’apprentissage à cause d’une dyslexie ou d’un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité, par exemple. Il y a aussi des élèves qui présentent des troubles du comportement ou d’autres qui souffrent d’un handicap en raison d’incapacités, ou de limitations physiques ou mentales. Bref, le spectre des causes et des besoins est large.

Pour réussir, ces enfants ont besoin de services complémentaires — d’orthophonie, de psychoéducation, d’orthopédagogie, d’éducation spécialisée, de psychologie — ou de matériel scolaire adapté. Là où le bât blesse, c’est qu’il y a des disparités dans l’offre de services.

« Chaque milieu scolaire est autonome dans sa façon de répondre aux besoins des élèves pour soutenir leur réussite. Ce que l’on constate sur le terrain, c’est que certains centres de services scolaires sont plus avancés que d’autres. Il y a donc beaucoup d’inégalités dans les façons de faire », affirme Nathalie Trépanier, professeure titulaire à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal.

Nathalie Trépanier

Selon la chercheuse, le monde de l’éducation mise sur l’inclusion scolaire comme la voie à suivre. « Les milieux mettent donc tout en place pour ne pas sortir les élèves des classes ordinaires, mais est-ce la bonne solution pour tous? La question se pose. Je suis convaincue que, pour certains élèves en difficulté, la classe spéciale peut être soutenante et favoriser leur réussite alors que pour d’autres, ce sera la classe ordinaire qui leur permettra d’atteindre leurs buts, moyennant le soutien nécessaire pour eux et leur enseignant », affirme la professeure.

Besoin de soutien

Pour aider efficacement les élèves en difficulté d’apprentissage, le personnel enseignant a aussi besoin de soutien. Actuellement, il est trop souvent laissé à lui-même alors que sa charge de travail augmente sans cesse. « Il y a encore trop d’enseignantes et d’enseignants qui, malgré la formation reçue, ne savent pas toujours quoi faire quand il y a des enfants ayant des besoins particuliers dans leur classe, explique Nathalie Trépanier. On ne peut pas leur demander de tout savoir non plus. C’est pourquoi les accompagner est important. »

Des équipes de soutien peuvent faire toute la différence, selon la chercheuse. « Ces équipes prennent différentes formes selon les besoins, précise-t-elle. Il peut s’agir de services scolaires, de services de santé et de services sociaux. Elles sont composées de différents professionnels, comme des conseillers pédagogiques, des travailleurs sociaux, des psychoéducateurs, qui sont rattachés à la direction de l’école même s’ils viennent de l’externe. Cela fait en sorte que les interventions peuvent être rapides pour éviter que la situation dégénère autant pour l’enfant que pour le prof. »

Ces équipes de soutien, qui ont fait leurs preuves, notamment en Ontario, font en sorte que tout ne repose pas sur les épaules de l’enseignante ou de l’enseignant.

Un dépistage trop rapide?

Il n’y a pas que l’organisation des services qui mériterait d’être améliorée. « Il faut aussi mieux comprendre ce qui place les élèves en situation de handicap pédagogique, affirme Nathalie Trépanier. Différentes raisons peuvent expliquer les difficultés de l’enfant. C’est important de poser un ensemble de questions pour avoir un portrait global qui aidera à déterminer le modèle d’intervention le plus adéquat. En prenant le temps de se questionner sur ce qui ne fonctionne pas, on peut mieux savoir comment aider à la fois l’élève et l’enseignant. »

Il faut aussi se demander si les enfants ne sont pas identifiés trop rapidement en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage. « Les enseignants ont à cœur que ça aille bien pour leurs élèves. Ils demandent tôt qu’un dépistage soit effectué pour s’assurer qu’ils ont rapidement accès à des services dans leur parcours scolaire. Mais on ne laisse pas le temps au temps. Il y a des enfants qui ne sont pas prêts à apprendre à lire en première année. S’ils éprouvent des difficultés, ils sont très vite identifiés comme étant “à problème” », explique Marie-Christine Brault, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en enfances, médecine et société, et professeure agrégée à l’Université du Québec à Chicoutimi.

Ces élèves se heurtent ainsi à un système scolaire rigide qui mise peut-être trop sur la performance à tout prix. « Depuis toujours, les élèves sont regroupés dans des classes en fonction de leur âge. Il faut peut-être repenser les choses. Par exemple, une séquence moins linéaire avec des classes multiprogrammes pourrait aider certains enfants à cheminer à leur rythme », soulève-t-elle.

Marie-Christine Brault

Une plus grande flexibilité pourrait notamment aider les élèves ayant reçu un diagnostic de trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) qui, on le sait, sont rapidement médicalisés. « Au Québec, un enfant sur quatre se voit prescrire des psychostimulants, affirme Marie-Christine Brault. Je pense que la médication devrait être utilisée en dernier recours. Beaucoup de choses peuvent être faites dans le milieu scolaire. S’il y avait une flexibilité accrue des cursus, même au primaire, cela aiderait. »

Même s’il n’y a pas que l’école qui est responsable de la croissance de la médication — les familles et le système de santé jouent un rôle dans ce phénomène —, il n’en reste pas moins que les perceptions face au TDAH ont un impact certain sur la façon d’intervenir auprès des élèves.

Dans le cadre d’une étude comparative entre les écoles d’ici et celles de la Flandre, Marie-Christine Brault a questionné les enseignants sur leurs croyances reliées au TDAH. « Au Québec, les croyances sont très homogènes voulant que le trouble soit d’origine biomédicale. C’est donc l’enfant qui porte le poids de sa différence. Cela fait en sorte qu’on remet moins en question les façons de faire. En Flandre, les croyances sont plus hétérogènes. Parmi les plus répandues, plusieurs croient que le TDAH résulte d’une cause environnementale. L’autre facteur est que ces élèves ont un profil qui n’est pas assez valorisé dans la société. Les enseignants sont davantage portés à agir en mettant la pédagogie au centre de leur approche. »

Bref, les défis sont grands et il n’y a pas de solution unique. Le Protecteur du citoyen est d’avis qu’il faudra favoriser la collaboration et l’innovation pour offrir des services adaptés aux élèves ayant des besoins particuliers et ainsi favoriser la réussite éducative de tous.