Alors qu’il était en quatrième année du primaire, Samuel a passé plus d’un mois assis à un pupitre devant le bureau de la directrice de son école. Isolé de ses camarades en raison de ses problèmes de comportement, il n’était autorisé ni à retourner en classe ni à jouer dans la cour extérieure pendant les récréations.

Pendant tout ce temps, Samuel n’a reçu aucun enseignement ni vu aucun ami. Malgré les demandes répétées de sa maman, Marie-Claude (prénom fictif)1, à la direction de l’école pour qu’une solution soit trouvée et que son fils réintègre sa classe, rien n’a été fait. De l’aveu même de la directrice de l’école, les ressources manquaient pour pouvoir bien accompagner Samuel et soutenir l’enseignante, et ainsi favoriser un retour en classe harmonieux pour le jeune garçon.

Après s’être adressée à la direction de l’école, Marie-Claude aurait pu déposer une plainte. Devant la complexité de la procédure, les délais de règlement qu’elle anticipait très long et la crainte que le processus ne soit pas neutre, elle y a toutefois renoncé.

Une réforme à venir

Chaque centre de services scolaire (incluant les commissions scolaires) et chaque établissement d’enseignement privé possèdent une procédure permettant aux élèves et aux parents de déposer des plaintes. Afin d’accélérer le traitement de celles-ci, d’uniformiser et de rehausser l’indépendance des processus, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a récemment déposé le projet de loi no 9.

Celui-ci apporte des changements au mécanisme de protection des élèves, du côté des établissements tant publics que privés, en proposant notamment de nommer un protecteur national de l’élève et des protecteurs régionaux. Un nouveau mode de désignation assurerait également à ces derniers une certaine indépendance.

En rendant ce processus accessible aux établissements privés, le projet de loi vise un traitement plus transparent des plaintes ainsi qu’un meilleur portrait d’ensemble des plaintes formulées dans les écoles privées et des suites qui leur sont données.

Un projet qui peut aller plus loin

« La CSQ s’est toujours montrée favorable à l’amélioration des mécanismes de protection des élèves et des services auxquels ils ont droit. Cependant, même si notre accueil du projet de loi est plutôt favorable, il soulève plusieurs points qui doivent être améliorés », affirme le président de la Centrale, Éric Gingras.

Présent en commission parlementaire le 18 janvier 2022, le leadeur syndical, accompagné de la présidente de la FSE-CSQ2, Josée Scalabrini, a présenté les propositions d’amélioration des fédérations du réseau scolaire (comprenant aussi la FPSS-CSQ3, la FPPE-CSQ4 et la FPEP-CSQ5).

Certaines des propositions touchent les aspects suivants :

  • L’indépendance et l’impartialité

Elles doivent être irréprochables dans le traitement des plaintes. « Le projet de loi constitue une amélioration sur ce plan, mais nous croyons qu’il aurait pu aller plus loin, notamment avec la mise en place d’une nomination d’un protecteur national de l’élève semblable à celle du protecteur du citoyen », explique Éric Gingras. Ainsi, il serait nommé par l’Assemblée nationale, plutôt que par le gouvernement, comme proposé dans le projet de loi. La nomination des protecteurs régionaux serait quant à elle faite par le gouvernement, plutôt que par le ministre.

  • La compétence des protecteurs de l’élève

La compétence de ces personnes, ainsi que leur connaissance du milieu de l’éducation, est un autre aspect important, selon le président de la Centrale. Il en va de leur capacité à bien comprendre les plaintes qui sont déposées et à en faire une analyse étoffée et juste, ce qui est à l’avantage des plaignants, comme des personnes visées par une plainte.

Le projet de loi propose la mise en place d’un comité de sélection des protecteurs régionaux qui regrouperait des personnes qui connaissent le réseau de l’éducation et qui ont des perspectives différentes et complémentaires, ce qui est assurément une plus-value pour l’analyse des candidatures. Cependant, des acteurs importants de l’éducation ne sont pas conviés à en faire partie. Le personnel professionnel et de soutien, tout comme le personnel des établissements d’enseignement privés, doit être représenté au sein de ce comité pour enrichir davantage les échanges.

  • Le dialogue comme première solution

Même s’il est nécessaire d’établir des mécanismes de protection des élèves et des services auxquels ils ont droit, il convient, avant d’y recourir, de toujours laisser place au dialogue et à la collaboration entre les élèves, les parents et le personnel, d’après Éric Gingras.

« Il est particulièrement important de pouvoir faire la distinction entre une insatisfaction et une plainte, ajoute-t-il. La personne insatisfaite doit pouvoir s’adresser à la personne concernée pour lui en faire part et tenter de trouver une solution, sans que cela soit automatiquement considéré comme une plainte. »

Or, le projet de loi dans sa version actuelle risque de semer la confusion dans les milieux puisqu’il ne permet pas de distinguer clairement ce qui est de l’ordre d’une discussion informelle à propos d’une insatisfaction d’une plainte en bonne et due forme.

Les conséquences pour le personnel peuvent être préjudiciables. Par exemple, si un membre du personnel ne sait pas qu’il fait l’objet d’une plainte, il ne pourra respecter ses obligations à cet égard, telles qu’aviser son supérieur immédiat, respecter un délai pour répondre à la plainte, etc. « Si ce n’est pas clair, cette personne pourrait s’exposer à des représailles ou à des mesures disciplinaires, alors qu’elle ignorait tout simplement être en présence d’une plainte », explique Éric Gingras.

  • L’insatisfaction en lien avec un service

Enfin, le projet de loi soulève un enjeu important : les élèves ou leurs parents peuvent déposer une plainte lorsqu’ils sont insatisfaits d’un service, mais la notion de service est très large. Il est essentiel de mieux circonscrire ce qui peut faire l’objet d’une plainte ou non.

Par exemple, le processus de traitement des plaintes ne devrait pas s’immiscer dans les pratiques professionnelles du personnel enseignant, dont les droits sont énoncés dans la Loi sur l’instruction publique. En effet, il est du ressort des enseignantes et enseignants de choisir les modalités d’intervention pédagogiques et les stratégies d’évaluation qu’ils jugent pertinent d’utiliser. Il est également de leur ressort d’attribuer un résultat à une ou un élève en fonction du jugement professionnel qu’ils portent. Il en est de même avec l’autonomie professionnelle régie par des codes de déontologie pour certaines autres catégories de personnel.

  • La prévention du dédoublement des recours

Mieux cerner l’objet des plaintes permettrait aussi d’éviter de dédoubler les recours. Une première évaluation des plaintes devrait être faite pour voir si d’autres recours seraient plus appropriés ou sont déjà en cours. Lorsque c’est le cas, le traitement de la plainte devrait être interrompu. Or, le projet de loi prévoit que l’examen de la plainte se poursuit.

Il est de loin préférable d’éviter l’accumulation de recours et de laisser l’autorité compétente agir pour examiner la situation problématique, apporter les correctifs requis et déterminer les sanctions nécessaires, le cas échéant. Il ne s’agit pas ici de refuser l’examen d’une plainte, mais de s’assurer que la situation à l’origine de la plainte est traitée au bon endroit, ce qui ne peut que contribuer à une meilleure efficacité et éviter des maux de tête aux personnes visées par la plainte.

Enfin, les membres du personnel devraient eux aussi pouvoir s’adresser au protecteur de l’élève pour faire part de situations inacceptables où les droits des élèves ne peuvent être respectés. « Cela pourrait contribuer à la formulation de recommandations à portée collective qui permettent de suggérer des améliorations dont tous les élèves peuvent bénéficier », conclut Éric Gingras.

Pour connaitre l’ensemble des propositions formulées par la CSQ, vous pouvez consulter le mémoire déposé à la Commission de la culture et de l’éducation.


1 Marie-Claude a tenu à conserver l’anonymat.
2 Fédération du syndicat de l’enseignement.
3 Fédération du personnel de soutien scolaire.
4 Fédération des professionnelles et professionnels de l’enseignement du Québec.
5  Fédération du personnel de l’enseignement privé.