Malgré une diminution de l’écart salarial entre 1997 et 2018, les hommes gagnent toujours 10,2 %1 de plus que les femmes. C’est dire que les femmes voient leur salaire horaire retranché de 2,96 $ comparativement à leurs homologues masculins. D’aucuns n’hésiteraient pas à qualifier cette disparité de « taxe silencieuse » imposée sur le revenu des femmes.

« Dans une société comme la nôtre, où l’équité constitue une valeur fondamentale, ces disparités n’ont plus de sens. Pourtant, la Loi sur l’équité salariale, adoptée en 1996, a fait du principe de l’équité un droit collectif inaliénable2 », plaide Sonia Ethier3.

Des écarts qui persistent

Le législateur québécois a affirmé sa volonté d’éliminer la discrimination salariale systémique envers les femmes. Néanmoins, plusieurs études récentes démontrent que des écarts salariaux considérables persistent entre les femmes et les hommes au Québec.

« Peu importe la variable selon laquelle on étudie la progression des taux horaires, l’écart demeure presque toujours au désavantage des femmes. Plus particulièrement, l’écart salarial entre les hommes et les femmes, présent dès l’entrée sur le marché du travail, augmente en fonction de l’âge des personnes salariées […] L’écart salarial entre les hommes et les femmes est présent dans tous les secteurs d’activité et dans les entreprises de toute taille », indique le Rapport du ministre 2019 sur la mise en œuvre de la Loi sur l’équité salariale. L’écart dû à la discrimination systémique fondée sur le sexe varierait entre 30 et 40 %.

Les effets positifs de la Loi sur l’équité salariale

Malgré ces écarts persistants, la Loi a bel et bien eu des effets positifs directs, notamment dans les secteurs public et parapublic.

En 2006, le personnel du secteur parapublic a obtenu un rattrapage salarial de 630 millions de dollars au terme des travaux du comité paritaire d’équité salariale, des travaux auxquels la CSQ a activement pris part. L’ajustement touchait environ 140 catégories d’emploi et représentait un ajustement moyen de 6,30 %.

Toujours dans les secteurs public et parapublic, près de 326 000 personnes ont reçu des ajustements salariaux de l’ordre de 2,94 % à 13,65 %. Deux autres programmes majeurs d’équité salariale dans ces deux secteurs ont permis d’apporter des correctifs de 4,16 % et de 6,49 % à plus de 450 000 personnes salariées au terme des exercices initiaux d’équité salariale, selon la CNESST4.

Révision de la Loi en 2009

Jusqu’en 2009, la Loi stipulait que les employeurs devaient maintenir l’équité salariale en continu et apporter les ajustements correspondants, sans pour autant en préciser les modalités. Afin de mieux structurer le processus, le gouvernement décide alors de transformer l’obligation du maintien en continu en maintien périodique (tous les cinq ans). Toutefois, il ne prévoit pas un effet rétroactif sur le salaire à la date du changement.

Plusieurs associations syndicales jugent ces modifications inconstitutionnelles et portent la cause devant les tribunaux. Presque 10 ans plus tard, en mai 2018, la Cour suprême du Canada leur donne raison, affirmant que ces mesures créent un régime discriminatoire envers les femmes. Elle oblige le législateur québécois à s’assurer :

  • que les ajustements salariaux sont rétroactifs à la date du changement, en fonction de la périodicité de cinq ans;
  • que l’affichage des résultats (de l’exercice d’évaluation de l’équité salariale) contient davantage de renseignements afin de permettre au personnel de comprendre la démarche de l’employeur et, le cas échéant, de contester efficacement ses décisions.

Nouvelle révision, nouvelle déception

Le 10 avril 2019, l’Assemblée nationale a sanctionné la loi n° 46 modifiant la Loi sur l’équité salariale afin de se conformer au jugement de la Cour suprême. « Malheureusement, les nouvelles dispositions ne règlent pas les problèmes et constituent même un recul. En effet, elles ne permettent pas aux femmes d’obtenir des ajustements salariaux complets, de participer réellement à la réalisation de l’équité ou de son maintien. Puis, les modifications enlèvent aux associations accréditées minoritaires le droit et le devoir de représenter leurs membres ayant déposé une plainte », explique Sonia Ethier.

De retour devant les tribunaux

La CSQ compte intenter un recours judiciaire pour faire déclarer inconstitutionnelles des modifications contenues dans la loi n° 4. Sa présidente souhaite vivement que cette loi fasse l’objet d’une réforme substantielle, et ce, dès la prochaine session parlementaire.

« On ne peut pas attendre encore 40 ans avant que l’équité devienne réalité. Il est urgent de passer à l’action pour que les choses changent pour de bon », conclut la leader syndicale.

L’équité salariale en bref

L’équité salariale correspond au droit fondamental d’obtenir un salaire égal pour un travail équivalent. La Loi sur l’équité salariale vise à corriger et à éviter les écarts de rémunération discriminatoire envers les catégories d’emploi à prédominance féminine.

Les entreprises de 10 employés et plus des secteurs public et privé doivent se conformer à la Loi. La CNESST est responsable de son application.

Les trois principales obligations des employeurs :

  1. Effectuer un exercice initial d’équité salariale
  2. Évaluer son maintien tous les cinq ans
  3. Afficher les résultats de l’exercice et produire une déclaration pour en rendre compte

Naissance de la Loi sur l’équité salariale

Dès 1975, le Québec reconnait le principe du salaire égal pour un travail équivalent en l’enchâssant dans la Charte des droits et libertés de la personne. Le mécanisme de plaintes prévu dans la Charte se révèle cependant inadéquat et limite l’accès aux recours.

Devant ce constat, des groupes de femmes, des organisations syndicales (dont la CSQ) et des organismes gouvernementaux se mobilisent pour former, en 1989, la Coalition québécoise en faveur de l’équité salariale. Cette coalition revendique l’adoption d’une loi pour corriger la discrimination salariale systémique envers les femmes.

En 1995, un évènement portera à l’avant-scène les revendications des femmes en la matière, soit la marche Du pain et des roses. Chapeautée par la Fédération des femmes du Québec, la marche rassemble 800 participantes et jouit d’une forte couverture médiatique. Le regroupement milite lui aussi pour l’adoption d’une loi sur l’équité salariale.

Cette mobilisation remarquable portera ses fruits, puisqu’en 1996, l’Assemblée nationale adoptera à l’unanimité la Loi sur l’équité salariale.

En 1995, la marche Du pain et des roses rassemble 800 participantes qui militent notamment pour l’adoption d’une loi sur l’équité salariale.

1 STATISTIQUE CANADA (2018). Enquête sur la population active, 2018. Écart salarial calculé sur le taux de salaire horaire moyen des hommes et des femmes.
2 MINISTÈRE DU TRAVAIL, DE L’EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ SOCIALE (2019). La Loi sur l’équité salariale : un apport indéniable pour contrer la discrimination salariale : rapport du ministre 2019 sur la mise en œuvre de la Loi sur l’équité salariale (mai), 120 p. Également disponible en ligne : travail.gouv.qc.ca/fileadmin/fichiers/Documents/equite/rapport_loi_equite_salariale.pdf.
3 Sonia Ethier est présidente de la CSQ.
4 MINISTÈRE DU TRAVAIL, DE L’EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ SOCIALE (2019). La Loi sur l’équité salariale : un apport indéniable pour contrer la discrimination salariale : rapport du ministre 2019 sur la mise en œuvre de la Loi sur l’équité salariale (mai), 120 p. Également disponible en ligne : travail.gouv.qc.ca/fileadmin/fichiers/Documents/equite/rapport_loi_equite_salariale.pdf.
5 La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) est responsable de l’application de la Loi.