Le projet de loi no 21 sur la laïcité de l’État fait couler énormément d’encre depuis son dépôt la semaine dernière. Il y avait fort à parier que le sujet serait polarisant. Comment aurait-il pu en être autrement? Nous avons déjà joué dans ce film où des situations hypothétiques rocambolesques se mêlent à des épithètes peu flatteuses d’un côté comme de l’autre du spectre idéologique. Sommes-nous si incapables de débattre intelligemment d’un sujet aussi important que celui-ci?

Rappelons quand même que nous avons devant nous un projet de loi qui vient limiter les droits fondamentaux d’une frange de la population et qui compte recourir à la « clause nonobstant » et même au bâillon pour y parvenir. Ce n’est pas rien. Je ne veux pas me prononcer ici sur le bien-fondé ou non d’une telle loi, je me suis déjà prononcée sur le sujet. La Centrale des syndicats du Québec (CSQ) étudie le projet de loi no 21 et fera connaître ses positions et ses demandes en commission parlementaire.

D’ici là, peut-on collectivement élever le débat? Est-ce que l’on peut éviter les sophismes et les questions hypothétiques sensationnalistes qui ne servent qu’à générer des clics ou à des partages indignés sur les réseaux sociaux?

Peut-être qu’il convient de rappeler à la mémoire des gens certains concepts.

Laïcité de l’État

La laïcité est le principe de séparation dans l’État de la société civile et de la société religieuse, et de l’impartialité ou de la neutralité de l’État à l’égard des confessions religieuses. Autrement dit, l’État ne doit pas favoriser ou antagoniser une religion en particulier, ni discriminer les gens en fonction de leurs croyances religieuses.

Déconfessionnalisation

On entend beaucoup dire ces temps-ci que l’on a « sorti les religieux de l’école dans les années 1960 » à l’adoption des recommandations du rapport de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec (rapport Parent). En fait, c’est le contraire. Ce que l’on a fait, en créant le ministère de l’Éducation, c’est que nous avons plutôt sorti l’école de l’église. La nuance est importante. La responsabilité du programme pédagogique ne relevait donc plus de l’église, mais de l’État.

Cela dit, il a fallu attendre l’année 2000 avant de voir disparaître les commissions scolaires catholiques et protestantes et l’année 2005 avant de voir le cours d’enseignement religieux confessionnel remplacé par le cours d’éthique et culture religieuse, qui sera implanté dans toutes les écoles en 2008.

Liberté de religion

La liberté de religion est un droit fondamental consacré dans les articles 3 et 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec et dans les articles 2 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ce droit fondamental protège la liberté d’avoir des croyances et de les exercer. Elles protègent également les gens qui, en vertu de ce droit, ne sont pas obligés d’adhérer à une religion particulière ou d’agir contrairement à leurs croyances. Cette liberté impose donc à l’État une obligation de neutralité religieuse et requiert des employeurs qu’ils veillent à ce que leurs pratiques ou normes de fonctionnement n’obligent pas leurs employées et employés à agir à l’encontre de leurs croyances.

J’apporterais des nuances ici. Les droits ne sont pas absolus. On ne peut pas tout faire au nom de ses croyances. La liberté de religion est un droit fondamental, mais il ne prime pas sur les autres droits garantis par les chartes. C’est-à-dire que ce droit peut être limité si les droits d’une autre personne ou l’intérêt collectif sont affectés par l’exercice de ce droit.

De même, les libertés d’opinion et d’expression sont aussi des libertés fondamentales, ce qui n’empêche pas les fonctionnaires de l’État d’être tenus à un devoir de neutralité politique par exemple.

De même, il convient de rappeler que la charte québécoise prévoit à l’article 9.1 que la loi peut « fixer la portée et aménager l’exercice » des libertés et des droits fondamentaux. Si le futur gouvernement entend limiter ainsi les droits et les libertés, il devra prouver qu’une telle mesure vise à atteindre un objectif réel et urgent, qu’elle a un lien raisonnable avec cet objectif, qu’elle constitue une atteinte minimale aux libertés fondamentales et qu’elle est proportionnelle dans les circonstances. Si la mesure réussit ce test, il n’est aucunement nécessaire d’écarter l’application de la charte québécoise par le biais d’une disposition de dérogation.

Or, il apparaît clair que le projet de loi no 21 ne passe pas le test.

« Clause nonobstant » (ou disposition de dérogation)

Ce point est fondamental dans le débat entourant ce projet de loi du gouvernement. La disposition de dérogation permet au gouvernement d’adopter une loi qui contrevient à un ou à plusieurs articles d’une charte touchant aux libertés fondamentales, aux droits juridiques et aux droits à l’égalité.

La mesure est exceptionnelle et ne peut être utilisée à la légère. Habituellement, les gouvernements l’utilisent pour protéger l’intérêt public ou étendre l’application de certains droits.

Ayons un discours constructif

Le discours ambiant est tellement toxique en ce moment qu’il ne fait que diviser la population du Québec en deux camps irréconciliables qui ne font qu’évoluer dans leurs chambres à écho. Comme projet rassembleur, on a déjà vu mieux.

Un débat comme celui-ci ne peut pas être abordé sous le filtre de la politique partisane. Je nous invite collectivement à nous en tenir aux faits et à élever le niveau de réflexion face à cet enjeu déchirant. Cessons de jouer le jeu de la division et concentrons-nous sur ce qui nous rassemble : la recherche d’une société égalitaire où toutes et tous peuvent s’épanouir!