Le 31 octobre 2008, la juge Danielle Grenier, de la Cour supérieure du Québec, rend un jugement historique en invalidant la loi 8, qui retirait leur statut de salariées aux responsables en services éducatifs en milieu familial (RSE). Retour sur le combat de femmes courageuses et le soutien d’une centrale qui a toujours cru à leur cause.

Décembre 2003 : le gouvernement adopte sous bâillon la loi 8

En décembre 2003, le gouvernement libéral de Jean Charest adopte sous le bâillon la loi 8 afin d’enchâsser son interprétation du statut des RSE. Selon lui, ces femmes ne sont pas des salariées des centres de la petite enfance (CPE). Résultat : des milliers de RSE sont soustraites de l’application du Code du travail et, par le fait même, de la Loi sur les normes du travail, de la Loi sur la santé et la sécurité du travail et de la Loi sur l’équité salariale. Cette attaque des libéraux vise à stopper le vent de syndicalisation des RSE qui souffle alors à travers tout le Québec.

La CSQ, qui a été la première centrale à accueillir ces travailleuses dans ses rangs, porte la cause devant les tribunaux afin de soutenir la lutte de ces femmes pour faire reconnaitre leur travail et la valeur de celui-ci.

Les travailleuses et la CSQ montent au front

Encouragées par l’appui de la CSQ, les RSE gardent confiance et croient fermement qu’elles obtiendront gain de cause. En effet, loin de les décourager, l’adversité les motive et renforce leur volonté de mettre fin à leur isolement comme travailleuses.

Elles sont aussi de plus en plus nombreuses à prendre conscience de la fausseté du discours gouvernemental les décrivant comme des travailleuses autonomes. Le gouvernement, pour des raisons économiques, a intérêt à entretenir cette image auprès d’elles pour éviter de devoir reconnaitre la valeur de leur travail.

Les RSE prennent aussi conscience qu’elles ne sont pas des travailleuses autonomes typiques. En effet, en plus de dépendre des CPE, elles relèvent, à partir de 2006, des bureaux coordonnateurs de la garde en milieu familial en ce qui a trait notamment à l’organisation du travail et aux tarifs exigés des parents. La nécessité de se regrouper pour défendre leurs droits devient de plus en plus indéniable. C’est pour cette raison que l’adoption de la loi 8, qui nie leur droit à la syndicalisation et à la négociation de leurs conditions de travail, est si choquante.

Un combat alourdi par des préjugés tenaces

Lyne Robichaud

L’une des pionnières de cette lutte, Lyne Robichaud[2], se souvient des préjugés tenaces à l’endroit des RSE et des questions auxquelles elles étaient confrontées.

« Pourquoi devrait-on payer ces femmes pour s’occuper des enfants des autres en même temps qu’elles s’occupent de leurs enfants? Elles ont même le temps de faire une brassée de lavage. Alors pourquoi mériteraient-elles de meilleures conditions de travail? », cite-t-elle en exemple.

Marlène Carbonneau[3] se rappelle que, parmi l’ensemble des travailleuses pratiquant la profession d’éducatrice, les RSE étaient perçues comme le « bas de gamme ».

« Le bureau coordonnateur ne nous témoignait aucun respect et nous n’avions aucune reconnaissance de la part du ministère. J’en avais assez de me faire dire que je ne faisais rien de plus qu’élever des enfants comme l’avait fait ma grand-mère », souligne-t-elle. Le chemin à parcourir pour obtenir la reconnaissance s’avérait long et ardu.

La Cour supérieure donne raison aux travailleuses

Au terme de cinq années de lutte devant les tribunaux, la CSQ et les RSE obtiennent gain de cause. Le 31 octobre 2008, la juge Danielle Grenier, de la Cour supérieure du Québec, prononce un jugement historique en invalidant la loi 8, lequel reconnait du même souffle aux RSE le droit de se regrouper pour négocier leurs conditions de travail. C’est une grande victoire pour la reconnaissance du travail des femmes au Québec. Cependant, une ombre demeure au tableau : le gouvernement Charest fera-t-il appel?

Le gouvernement capitule

Marlène Carbonneau est alors envoyée en mission avec des membres de son syndicat pour interpeller le premier ministre Jean Charest, qui est de passage dans son comté, afin de connaitre ses intentions.

« Nous sommes allées à un rassemblement public où le premier ministre prenait la parole en présence de militantes et militants libéraux, ainsi que de journalistes. Au moment où il s’apprêtait à quitter la salle, il est passé devant moi et j’en ai profité pour lui saisir le bras et lui demander, avec les membres de la presse comme témoins, s’il respecterait le jugement Grenier et reconnaitrait le droit à la syndicalisation des RSE. Il ne m’a pas répondu le soir même. Le lendemain matin, la nouvelle est tombée : il venait de déclarer publiquement que son gouvernement se plierait au jugement. J’étais folle de joie! »

Marlène Carbonneau

Marlène Carbonneau est bien consciente du fait que son intervention n’explique pas à elle seule la décision du premier ministre. « Nous étions à quelques jours du déclenchement d’une élection générale au Québec, et M. Charest avait compris qu’il ne pouvait se permettre de laisser trainer plus longtemps le dossier », croit-elle.

« Quand le premier ministre Jean Charest a annoncé qu’il ne contesterait pas le jugement Grenier, c’était la grande fête. Enfin, on pouvait négocier nos conditions de travail. »

─ Marlène Carbonneau

Reprise des efforts de syndicalisation

Karina Bolduc

La victoire est enfin réelle et totale. Dès lors, la campagne de syndicalisation des RSE reprend de plus belle. « Nous étions sur une nouvelle lancée. Il n’y avait plus aucun doute. Nous pouvions rencontrer nos consœurs RSE et leur dire que nous avions le droit de nous associer et de nous regrouper pour négocier des conditions de travail plus acceptables et pour avoir accès, comme l’ensemble des travailleuses et travailleurs, à des protections sociales », relate Lyne Robichaud.

Une autre RSE, Karina Bolduc[4], était particulièrement heureuse de savoir que, désormais, elle et ses collègues ne seraient plus obligées de travailler durant une grossesse.

« J’avais vécu une maladie infantile tout en étant enceinte. Un véritable cauchemar, car on m’avait annoncé que mon enfant serait aux prises avec de lourds handicaps. Mon plus grand bonheur avec le jugement Grenier a été de réaliser qu’enfin les RSE qui se retrouveraient dans une situation semblable pourraient recourir au retrait préventif et éviter de mettre en danger leur santé et celle de leurs enfants. Étant donné ma situation, j’avais compris les risques que couraient les RSE enceintes et leurs bébés à naitre. Nous qui aimons tant les enfants avions désormais le choix de protéger celui à qui nous allions donner vie. »

Une bataille à poursuivre

Valérie Grenon

Dix ans après le jugement Grenier, les RSE ont franchi des étapes importantes sur le chemin de la reconnaissance. Cependant, elles sont bien conscientes que la lutte pour la défense et l’amélioration de leurs conditions de travail n’est pas terminée.

« Nous avons déjà réussi beaucoup dans nos efforts pour obtenir une plus grande reconnaissance. Nos salaires à eux seuls ont augmenté de 40 % depuis le jugement, ce qui n’est pas rien », fait valoir Lyne Robichaud.

De son côté, Karina Bolduc va jusqu’à dire que le syndicat lui a procuré une paix d’esprit. « Maintenant, je sais que s’il m’arrive quelque chose, je pourrai m’appuyer sur quelqu’un pour me défendre, sur des ressources professionnelles et sur la solidarité de mes consœurs. »

« La bataille de la reconnaissance doit se poursuivre. J’espère que nous pourrons toujours compter sur des femmes de cœur comme celles qui se sont battues jusqu’à la victoire du jugement Grenier, qui ont continué et continuent aujourd’hui », conclut Valérie Grenon[5].


[1] Responsables en services éducatifs en milieu familial (RSE) anciennement responsables d’un service de garde en milieu familial (RSG).
[2] Lyne Robichaud est présidente de l’Alliance des intervenantes en milieu familial (ADIM Laval-Lanaudière).
[3] Marlène Carbonneau est présidente de l’Alliance des intervenantes en milieu familial (ADIM Estrie).
[4] Karina Bolduc est présidente de l’Alliance des intervenantes en milieu familial (ADIM Québec).
[5] Valérie Grenon est présidente de la Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec (FIPEQ-CSQ).