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Le bruit : une nuisance sous-estimée

10 mai 2018

Souffrez-vous souvent de maux de tête, de fatigue intense, d’extinction de voix, d’irritabilité ou de troubles de l’audition? La pollution sonore de votre milieu de travail pourrait bien en être la cause.

En éducation et en petite enfance, les milieux de travail sont bruyants. Sans surprise, le personnel est plus sujet à des pertes auditives que dans d’autres professions. Puisque les effets des nuisances sonores sont cumulatifs et que la dégradation de l’audition peut devenir irréversible, mieux vaut y voir avant qu’il ne soit trop tard.

UNE AMPLEUR SOUS-ESTIMÉE

De façon générale, l’ampleur du phénomène est sous-estimée, selon Santé Canada, bien qu’il s’agisse de l’un des dangers au travail les plus courants. Au Québec, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) se désole de voir la surdité professionnelle progresser, alors que les moyens de prévention existent.

SON OU BRUIT : DE QUOI PARLE-T-ON?

Tout comme le son, le bruit est une sensation auditive entrainée par une onde acoustique dont la fréquence (aigüe ou grave), l’intensité (forte ou faible) et la durée varient. La différence? Ingrid Verduyckt1 explique : « Le bruit c’est n’importe quel son non désiré qui interfère avec la perception auditive de quelque chose que l’on veut entendre. Donc, le bruit dépend de notre perception subjective, laquelle varie selon notre âge, notre sexe ou notre ressenti personnel. »

ATTENTION À L’EXCÈS DE BRUIT

Les risques pour la santé auditive sont donc associés au niveau sonore, à la durée et à l’accumulation des expositions au bruit. Santé Canada recommande d’ailleurs de tenir compte de l’ensemble du bruit auquel on est soumis quotidiennement. Si elle dépasse fréquemment la limite, la dose de bruit journalière peut représenter un danger pour l’ouïe.

Outre la fatigue auditive, qui se manifeste par une diminution passagère de l’audition, une surexposition prolongée à des niveaux de bruit supérieurs aux normes peut causer une perte progressive de l’audition, des acouphènes, de l’hyperacousie (intolérance à des bruits normaux) et plus encore

Ce n’est pas tout : le bruit peut avoir des effets néfastes sur le rythme cardiaque, le stress et le sommeil, en plus d’occasionner des maux de tête, de la fatigue accrue, de l’irritabilité et de l’impatience, des troubles vocaux, une baisse de la concentration et de l’insatisfaction au travail.  Photo: Ingrid Verduyckt

UNE RÈGLEMENTATION POUSSIÉREUSE

Au Québec, le Règlement sur la santé et la sécurité du travail a établi le seuil maximal de bruit continu à 90 dB pendant huit heures comme valeurs limites aux risques de surdité professionnelle, comparativement à 85 dB dans la majorité des autres provinces.

« Il faut savoir que cette norme n’a pas changé depuis 1979… Or, il est généralement reconnu par la science et les tribunaux du Québec qu’une atteinte auditive est possible si l’on est exposé de façon prolongée à un niveau de bruit inférieur à la norme québécoise », prévient Mélanie Baril2.

Elle précise que la CNESST3, qui reconnait d’ailleurs un nombre croissant de cas de surdité professionnelle depuis 2004, effectue actuellement des travaux règlementaires à ce sujet. « Les milieux de travail doivent s’attaquer à l’enjeu bruit, même s’il est inférieur aux normes. Les comités de santé et sécurité du travail devraient s’y pencher, afin de trouver des solutions permettant d’en diminuer les impacts importants sur la santé des travailleuses et des travailleurs », poursuit-elle.

LA VALSE DES DÉCIBELS

Selon des études réalisées au Québec et ailleurs, le niveau sonore dans les services de garde en milieu familial et en installation oscille entre 56 et 71 dB, avec des pointes atteignant les 80 à 95 dB.

Dans les écoles, l’intensité du bruit observé en classe fluctue entre 57 et 70 dB, avec des pointes à 97 dB. Dans les locaux de musique, les gymnases, les cafétérias et les cours d’école, elle varie entre 80 dB et 90 dB, avec des pointes dépassant les 100 dB. Pire, la surpopulation de certaines écoles, combinée à l’architecture vétuste de plusieurs bâtiments scolaires, accentue ce grave problème encore largement sous-évalué.

LE PERSONNEL DE L’ÉDUCATION À RISQUE

Des études européennes portant sur les effets du bruit sur les enseignantes et enseignants sont révélatrices. Selon l’une d’elles, 82 % sont affectés par le bruit pendant environ le quart de leur temps de travail. Ils doivent alors parler plus fort et répéter les consignes, ce qui, à terme, altère aussi leur capacité vocale.

D’autres travaux suggèrent que les enseignantes et enseignants expérimentés tolèrent moins bien le bruit qu’en début de carrière. Ils seraient aussi plus nombreux à se plaindre de troubles auditifs. Une proportion significative éprouverait aussi une grande fatigue en fin de journée et des problèmes de sommeil.

UNE SITUATION SIMILAIRE EN PETITE ENFANCE

L’environnement sonore des services de garde en milieu familial et en installation augmente également le stress du personnel. En plus de subir de la fatigue vocale, les éducatrices sont plus susceptibles de ressentir une fatigue profonde, de supporter plus difficilement le bruit à la maison et de développer des troubles du sommeil.

LES SERVICES DE GARDE SCOLAIRES DANS LE TUMULTE

Dans les écoles, le niveau de bruit varie avec le rythme des activités. Annick Béland4 en sait quelque chose. Elle est éducatrice en service de garde à l’école primaire Val-des-Ruisseaux, à Laval.

Nous l’avons interviewée à la cafétéria à l’heure du diner. Très rapidement, nous avons haussé la voix pour nous comprendre. À quelques reprises, elle a dû crier pour calmer les ardeurs d’élèves tapageurs. Les jeux, le sport, les déplacements de groupe et les rassemblements font partie de son quotidien.

« Mes collègues et moi devons porter constamment un talkiewalkie. Dans une journée, je peux faire plus de 160 appels avec cet appareil. Cela peut devenir rapidement une source d’irritation puisqu’il est impossible de se défaire de cet outil de travail pour des raisons de communication et de sécurité », observe-t-elle.

Le soir, elle apprécie le silence, tout comme ses collègues qui souffrent régulièrement d’extinction de voix. Au cours de l’entrevue, nous avons croisé un enseignant en éducation physique. Il affirme avoir perdu plus de 20 % de son audition dans une oreille. Quant à son gymnase tout neuf, il n’est pas équipé de panneaux acoustiques…

Dans une autre école, une éducatrice en service de garde scolaire, dont nous devons taire le nom en raison des démarches en cours, a subi une perte de 80 % de son ouïe. Le problème de la pollution sonore est-il suffisamment pris au sérieux? On peut en douter.  Photo: Annick Béland

LES GYMNASES : DES ENDROITS PARTICULIÈREMENT BRUYANTS

Alain Vachon5 enseigne l’éducation physique depuis vingt ans à l’école Sainte-Cécile de Jonquière. Il souffre d’une perte d’audition significative. Pas étonnant lorsque l’on sait que le bruit dépasse souvent les 100 dB dans les gymnases.

Après avoir fait part de son problème lors d’une réunion, son syndicat lui a proposé de participer, avec trois autres enseignants, à un projet pilote paritaire en santé et sécurité du travail (SST) visant à évaluer l’efficacité des protecteurs auditifs (bouchons d’oreille) moulés avec filtres acoustiques passifs.

« L’expérience est vraiment concluante. Au début, j’ai été étonné, car le bruit du sifflet et les autres bruits de fond étaient grandement réduits, mais j’entendais très bien la parole, et c’était facile de communiquer avec les élèves », constate-t-il avec satisfaction.

Ces bouchons auditifs moulés sont parfaitement ajustés à l’oreille de chacun, et on peut les retirer et les remettre d’un geste rapide. Voilà pourquoi Alain Vachon n’hésite pas à en recommander l’usage à ses stagiaires dans une optique de prévention.  Photo: Alain Vachon

UN SYNDICAT PROACTIF

Claude Bradet6 se réjouit de la sensibilité de la commission scolaire à cet enjeu. Il explique que ce projet pilote est un succès. « L’expérience sera prolongée avec des profs travaillant dans d’autres disciplines à risque, telles que la musique, la charpenterie menuiserie et certains secteurs de la formation professionnelle où le bruit est omniprésent. »

« Ces bouchons d’oreille moulés avec filtres acoustiques passifs empêchent la dégradation de l’audition sans créer trop d’inconvénients à l’utilisateur. Des panneaux acoustiques ont aussi été installés dans certains gymnases afin de réduire l’effet de réverbération. C’est une bonne façon d’atténuer le bruit et de protéger les travailleuses et les travailleurs », souligne-t-il.

LA QUALITÉ ACOUSTIQUE DES ÉCOLES NÉGLIGÉE

Pour favoriser une bonne intelligibilité de l’enseignement en classe, Ingrid Verduyckt est catégorique : « Le niveau sonore idéal ne devrait pas dépasser les 65 dB. Or ce seuil est souvent franchi. »

« On se préoccupe beaucoup de la conservation de l’énergie, par exemple, dans la rénovation ou la construction des bâtiments scolaires. C’est bien, mais il faut aussi prendre en compte la qualité de l’acoustique, car elle affecte la santé auditive et vocale du personnel, ainsi que la qualité des apprentissages des élèves. »

La chercheuse rappelle que, au-delà des mots prononcés, l’intonation a un effet prédominant sur la perception de l’interlocuteur. Ainsi, un enseignant parlant fort quand le bruit ambiant est trop élevé provoque, sans le vouloir, des réactions de fermeture tout à fait opposées à celles qu’il souhaite. « Les enseignantes et enseignants se préoccupent, à juste titre, du contenu pédagogique à livrer. Toutefois, le paysage sonore est négligé dans la planification pédagogique et il n’est pas suffisamment pris en compte dans la formation des maitres. Pourquoi? La raison est simple : l’impact du bruit sur la qualité de l’enseignement est grandement sous-évalué », déplore-t-elle.

Pourtant, des études ont démontré que, plus le bruit est élevé, plus la compréhension de la parole de l’enseignant est mauvaise. À cela s’ajoutent d’autres effets, notamment sur les plans de la concentration des élèves, de l’agitation psychomotrice, de l’agressivité et du rendement scolaire.

UN EFFET SUR LES APPRENTISSAGES

Ingrid Verduyckt rappelle les résultats d’une recherche7 effectuée auprès de trois groupes d’élèves de niveaux identiques. Le premier groupe était dans un environnement sans bruit, le deuxième était exposé au bruit de la circulation et le dernier au bruit généré par la parole. Des consignes identiques étaient formulées par ordinateur.

« Lorsque l’on a demandé aux élèves s’ils avaient été gênés par le bruit, tous les groupes ont répondu par la négative. Pourtant, après avoir comparé les résultats aux tâches de complexité diverse qui leur étaient proposées, le groupe exposé au bruit de la parole obtenait des notes 30 % inférieures. C’est significatif! Cela indique qu’il faut se préoccuper de la gestion du bruit dans l’enseignement », dit-elle.

Elle ajoute que, lorsque l’on interroge les personnes exposées au bruit dans leur environnement de travail, plusieurs considèrent qu’il fait partie des inconvénients du métier. « Le problème de la surexposition au bruit est largement mésestimé, tant par les pouvoirs publics que par les victimes elles-mêmes », s’inquiète l’orthophoniste.

UN TRAVAIL DE SENSIBILISATION À POURSUIVRE

Une simple recherche sur le bruit et l’apprentissage sur le site du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur du Québec et sur le site de la Fédération des commissions scolaires du Québec se soldera par la réponse suivante : aucun résultat.

Nous avons aussi interrogé un ingénieur en bâtiment d’une commission scolaire, qui n’a pu trouver de directives émanant du Ministère concernant des normes acoustiques spécifiques pour les écoles.

Pas étonnant, dans ce contexte, que nous nous retrouvions avec des locaux de musique, des gymnases et des lieux de rassemblement rénovés ou tout neuf, où personne n’a prévu de dispositif antibruit. Désolant!

Pourtant, la Loi sur la santé et la sécurité du travail est claire : l’employeur doit contrôler les risques pouvant affecter la santé et la sécurité du personnel. « Lorsque les normes établies par le règlement sur la SST ne sont pas respectées, l’employeur doit travailler à réduire le bruit à la source, à isoler le poste de travail ou à insonoriser les locaux. Si le tout s’avère impossible, il doit offrir des protecteurs auditifs », précise Mélanie Baril.

UN ENJEU DE SANTÉ PUBLIQUE

Les balles de tennis sous les pupitres, c’est utile, mais il en faudra davantage pour créer des environnements scolaires sains et propices à l’apprentissage. La sensibilisation des pouvoirs publics semble être la première étape. Mais il est aussi indispensable de rappeler que la surexposition au bruit n’est pas une fatalité, que l’on peut agir pour la réduire et ainsi prévenir d’éventuelles pertes d’audition.

Cet enjeu touche d’ailleurs une proportion de plus en plus importante de la population. Voilà pourquoi, dans un avis au ministère de la Santé et des Services sociaux, l’INSPQ recommande que le Québec se dote d’une politique publique pour réduire les effets du bruit environnemental. Cette prise de position inspirée des travaux de l’Organisation mondiale de la Santé confirme que l’exposition à la pollution sonore est sans contredit un enjeu majeur de santé publique qu’il ne faut plus ignorer.

 

1 Ingrid Verduyckt est orthophoniste et professeure à l’École d’orthophonie et d’audiologie de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Elle était la conférencière invitée au Réseau SST de la CSQ, en avril 2018.
2 Mélanie Baril est conseillère en santé et sécurité du travail à la CSQ.
3 Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).
4 Annick Béland est membre du Syndicat lavallois des employés de soutien scolaire (SLESS-CSQ).
5 Alain Vachon est membre du Syndicat de l’enseignement de la Jonquière (CSQ).
6 Claude Bradet est conseiller syndical et membre du comité paritaire SST au Syndicat de l’enseignement de la Jonquière (CSQ).
7 KLATTE, Maria, Thomas LACHMANN et Markus MEIS (2010). “Effects of noise and reverberation on speech perception and listening comprehension of children and adults in a classroom-like setting”, Noise & Health, vol. 12, no 49, p. 270-282.

 

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