« Employeur de choix », « entreprise en santé », « meilleur employeur »… autant d’étiquettes qui visent à souligner qu’il fait bon travailler pour telle ou telle entreprise. Derrière ces divers programmes de reconnaissance se cache une certaine volonté de caractériser la culture de gestion propre à chacune d’elles.

La culture organisationnelle, c’est quoi?

Comme la personnalité d’un individu, la culture organisationnelle est unique. Elle se manifeste dans les politiques de l’organisation, allant du code vestimentaire aux heures de travail, en passant par les méthodes de travail et les modes de résolution des problèmes. Elle régit également des aspects comme la structure de pouvoir, la conception de l’espace de travail, les avantages sociaux, etc.

Ce sont en général les dirigeantes et dirigeants qui établissent la culture organisationnelle, mais celle-ci est rarement définie explicitement. Elle émerge plutôt des croyances, des modes de pensée, des paroles et des gestes des personnes. Elle façonne les comportements acceptables ou inacceptables. Elle peut aider à définir les valeurs et les principes fondamentaux qui guident notamment les pratiques de gestion.

Les valeurs et leurs effets

Julie Dextras-Gauthier

« La culture organisationnelle a un effet indirect sur la santé mentale des travailleuses et des travailleurs, explique Julie Dextras-Gauthier1. Elle influence les conditions de l’organisation du travail, comme l’utilisation des compétences, l’autorité décisionnelle, les demandes du travail, le soutien social au travail et la gratification. » Ce sont ces conditions de travail qui ont des effets nuisibles ou bénéfiques sur le plan de la santé mentale.

Selon la chercheuse, dans une entreprise qui valorise les relations humaines, les échanges et le soutien social, « les risques de détresse psychologique, d’épuisement émotionnel et de cynisme diminuent, alors que le sentiment d’efficacité professionnelle augmente. »

Il en va de même pour une organisation misant sur la flexibilité, la polyvalence et la communication entre les membres du personnel. Ces derniers subissent moins d’épuisement émotionnel, témoignent moins de cynisme et ressentent un plus grand sentiment d’utilité.

À l’inverse, une entreprise mettant l’accent sur les résultats, la productivité, la performance, et l’atteinte des objectifs organisationnels et individuels est reliée à plus de détresse, d’épuisement et de cynisme, toujours d’après les observations de la chercheuse.

Au-delà des mesures cosmétiques, comme des ateliers sur la gestion du stress ou la bonne alimentation, il faut s’attaquer à la charge de travail, particulièrement la surcharge, aux demandes psychologiques que comporte le travail et à l’insécurité d’emploi.

– Julie Dextras-Gauthier

Et dans les services publics?

À première vue, on pourrait penser que la culture organisationnelle des services publics met de l’avant des valeurs comme la stabilité, la continuité et le sentiment de sécurité d’emploi. Or selon Julie Dextras-Gauthier, elle tend plutôt vers une culture rationnelle, qui valorise notamment la productivité, la performance et l’atteinte d’objectifs.

La gestion par résultats et les approches de type lean2, axées sur la productivité et la reddition de comptes, mettent dans certains cas de la pression sur le dos des gestionnaires, qui en ajoutent, à leur tour, sur celui des employés. « Cela pourrait expliquer, en partie, les forts taux d’absence dans les secteurs de l’éducation et de la santé », affirme-t-elle.

Des facteurs de risque

Dr Michel Vézina

Ce qui est décrit par la chercheuse comme des conditions de travail est plutôt considéré comme des facteurs de risque dans une approche de santé publique.

Ces facteurs, parmi lesquels on trouve la surcharge de travail, le manque d’autonomie, l’injustice, la violence, le harcèlement psychologique, le manque de soutien et l’insécurité d’emploi, sont liés aux conditions d’emploi, aux relations sociales, aux pratiques de gestion et à l’organisation du travail, rappelle l’INSPQ3 sur son site Web. Ces facteurs augmentent la probabilité d’engendrer des effets néfastes sur la santé physique et psychologique des travailleuses et des travailleurs.

Pour créer et maintenir un milieu de travail psychologiquement sain et sécuritaire, les organisations doivent mettre de l’avant certaines valeurs. « On pense à la confiance de la part de la direction, à la justice et au respect qui incluent le règlement équitable des conflits et le juste partage des tâches, à la reconnaissance qui se traduit par l’appréciation et un traitement équitable, ainsi qu’à l’estime et au respect dans les rapports sociaux », rapporte le Dr Michel Vézina4.

Parce qu’il estime que les valeurs en tant que telles sont difficiles à cerner et à mesurer, Michel Vézina préfère parler des besoins de base de l’être humain et de comment le milieu de travail peut les satisfaire ou non.

À la source de ces besoins, il y a celui de la santé et de la sécurité physiques. Au niveau supérieur figurent la conscience de sa propre valeur, l’estime de soi et la justice sociale, la confiance en ses propres capacités, la réalisation de soi et l’autonomie, ainsi que le sentiment d’appartenance. « Il faut que ces besoins soient pris en compte dans les décisions de l’entreprise et de ses gestionnaires », ajoute-t-il.

Pour créer et maintenir un milieu de travail psychologiquement sain et sécuritaire, il faut que les besoins de base soient pris en compte dans les décisions de l’entreprise et de ses gestionnaires.

– Dr Michel Vézina

 

 

Pour un climat de sécurité psychosociale

L’approche de management et de gestion des ressources humaines ainsi que celle plus axée sur la santé mentale pourraient être réunies en visant le développement et le maintien d’un climat de sécurité psychosociale, une idée développée en Australie sous le vocable psychosocial safety climate.

Ce concept renvoie à un climat organisationnel favorable à la santé et à la sécurité psychologiques du personnel. Pour l’atteindre, quatre conditions doivent être remplies :

  1. La direction doit être engagée à favoriser la santé psychologique au travail et s’y impliquer.
  2. La direction doit considérer que la santé psychologique du personnel est aussi importante que la productivité.
  3. L’organisation doit valoriser la communication et prendre en considération les préoccupations du personnel.
  4. Il doit y avoir une participation et une implication réelles au sein de l’organisation par des consultations auprès des syndicats et des personnes représentantes en santé et sécurité au travail.

Prévenir au lieu de guérir

Julie Dextras-Gauthier et Michel Vézina s’entendent sur la nécessité de prévenir. « Au-delà des mesures cosmétiques, comme des ateliers sur la gestion du stress ou la bonne alimentation, il faut s’attaquer à la charge de travail, particulièrement la surcharge, aux demandes psychologiques que comporte le travail et à l’insécurité d’emploi, énonce la chercheuse. Cela suppose une réflexion sur les conditions de travail, surtout en situation de pénurie de main-d’œuvre, où on se doit d’offrir des conditions attrayantes. »

Pour soutenir les gestionnaires, Michel Vézina a déjà lancé l’idée de créer des programmes d’aide aux organisations (PAO). « Contrairement aux PAE5, qui s’attardent aux individus, les PAO visent à offrir aux gestionnaires et aux équipes de travail l’accès à des ressources spécialisées pour les aider à identifier les différents facteurs à l’origine des problèmes de santé psychologique qu’ils rencontrent et à réaliser un plan d’action adapté », explique-t-il.

Et l’action collective dans tout ça?

Selon Julie Dextras-Gauthier, la culture d’une organisation peut changer lorsqu’une boucle de rétroaction entre les membres du personnel et les gestionnaires se met en place : « Bien que cela reste à vérifier, je crois que cette boucle permet d’influer sur la culture d’une entreprise. »

L’action collective contribue aussi au renforcement du soutien social de la part des collègues. « Il est certain que le fait de parler avec les collègues ou avec le syndicat permet de prendre la mesure de la situation et de chercher en groupe les meilleures solutions. C’est d’ailleurs ce que met de l’avant la campagne sur les risques psychosociaux au travail, menée par votre centrale », conclut-elle.


1 Julie Dextras-Gauthier est professeure adjointe au Département de management de la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval.
2 Approches fondées sur l’élimination des pertes qui résultent du gaspillage d’efforts et de ressources associé aux activités sans valeur ajoutée.
3 Institut national de santé publique du Québec.
4 Michel Vézina est médecin-conseil dans l’unité scientifique en santé au travail de l’INSPQ.
5 Programmes d’aide aux employés.