Rien n'est immuable, estime Angelo Soares1. Toutefois, la lutte doit être collective et cibler le cœur du problème : l'organisation du travail. Autrement, elle n'équivaut qu'à un pansement appliqué sur une plaie béante.
Des racines à déterrer
Depuis 40 ans, la précarisation s'est accélérée, alors que les droits sociaux ont été transformés en services monnayables : élèves et patients sont devenus des clients...
« La novlangue néolibérale s'impose : lean management, optimisation, flexibilisation, rationalisation, nouvelle gestion publique... L'un de ces beaux mots devient négatif? On le remplace. Et ce discours, qui nourrit l'image d'une organisation efficiente, il est très important, car les mots qu'on emploie sont ceux qui nous font penser », explique le chercheur.
Tenter de sauver sa peau
Angelo Soares explique que la précarisation du travail le rend plus intense et plus dense, entrainant un manque de temps. « Et, comme on remplace de moins en moins les personnes absentes, tous en paient le prix, ce qui crée du ressentiment. Cela génère des tensions, augmente la concurrence entre les personnes et brise les équipes de travail. »
Chaque minute est aussi quantifiée pour produire les statistiques nécessaires à l'évaluation de l'efficience du travail accompli. « Ces outils de mesure ne considèrent pas le travail réel ni sa charge émotionnelle. Si je dois maitriser un élève en crise, la situation risque de m'affecter ! »
Quand la santé y passe
Tout cela a des conséquences sur la santé et entraine une dégradation des services à la population. « On ne peut tout faire. Alors, on travaille à s'en rendre malade, car ce qui compte, ce sont nos élèves, nos étudiants, nos patients. Cela entraine de l'angoisse, de la souffrance, de la détresse. »
Lorsqu'un problème de santé mentale survient au travail, diverses solutions sont proposées à la personne : relaxation, exercice, psychothérapie, etc. Or, ces moyens ne soulagent que les symptômes. On culpabilise l'individu, qui croit être la source du problème alors que la coupable, c'est l'organisation du travail.
L'action collective pour se défendre
Angelo Soares croit que l'action collective est la meilleure arme pour contrer ces stratégies qui nous divisent et nous rendent malades.
« Il faut se réunir et échanger. C'est important, car on réalise alors que notre bobo est aussi celui des autres. On a des solutions. Mettons-les en commun et évitons les correctifs individuels, qui agissent comme un comprimé de Tylenol sur la douleur, mais qui ne règlent pas les sources du problème. »
« L'employeur veut nous surcharger? Disons non. Il souhaite créer des postes à temps partiel? Exigeons des postes à temps complet. Il faut démontrer le travail réel, responsabiliser les gestionnaires quant à la charge de travail et parler leur langage en chiffrant le cout de leurs stratégies. C'est prouvé : les organisations qui respectent leur personnel font beaucoup plus de profits! »
1 Angelo Soares est professeur titulaire au département d’organisation et ressources humaines à l’Université du Québec à Montréal. Il était l’un des conférenciers du forum Prévenir et guérir par l’organisation du travail de la CSQ.